Nouvelles d’été – Démon de midi par Sophie Henrionnet

Cet été, la #TeamRomCom a écrit des nouvelles sur le thème de la rencontre estivale pour Elle.fr
On les a toutes réunies sur le blog!

Sophie Henrionnet – Démon de midi

Les nouvelles de l'été : "Démon de midi"Je tape les trois mots sur les touches du clavier et, dans sa grande mansuétude, Google me donne 245 000 résultats en 0,57 seconde.

Démon de midi : « Désir de changer de compagne ou de compagnon à l’approche de la cinquantaine, chute tardive dans la débauche ou dans l’infidélité conjugale après une vie réglée. »

Je pose l’ordinateur sur la table et m’enfonce dans le canapé très confortable de ce café dans lequel nous avons convenu de nous retrouver avant de nous rendre à l’aéroport. Je ferme les yeux en attendant qu’il arrive. Chaque seconde qui passe semble m’éloigner un peu plus de ma confortable vie.

Le démon de midi ? Est-ce donc le mal qui me ronge ? J’imagine facilement notre entourage s’accorder sur le sujet et hocher gravement la tête en apprenant mon départ du domicile conjugal.

La serveuse dépose une tasse de service à poupée devant moi. La jolie brune a une petite vingtaine, ses joues sont rondes, presque poupines, elle ne porte pas les stigmates d’une vie de mère de famille et les désillusions assorties qui donnent des envies d’ailleurs.

Je ne saurais dire si je suis sujette à proprement parler à une « crise », je penche plus pour le concours de circonstances. Si on m’avait dit qu’à 45 ans, je me ferais draguer par un collègue trentenaire aussi musclé que séduisant je n’y aurais pas cru une seconde. Le fait qu’il me fasse une cour effrénée, me déclare sa flamme et qu’il fasse des pieds et des mains pour que je l’accompagne sur une plage du bout du monde à un séminaire dans la foulée m’a propulsée dans un véritable tourbillon. Et puis, c’est bien simple, je n’ai jamais su dire non.

Je prends une gorgée de café. J’en aurais bien pris deux, mais la minuscule tasse est déjà vide. 3,80 euros… J’espère que les mojitos sont compris dans la formule all inclusive.

Où en étais-je ? Ah oui… Je n’ai jamais su dire non, c’est un fait.

Non, aux copines, qui m’ont malgré moi entrainée dans toutes sortes d’expériences adolescentes dont je me serais bien passée.

Non, à mon mari, qui nous inscrit sans me demander mon avis à des tournois de golf en couple.

Non, à mes enfants, qui me supplient de les autoriser à se rendre à LA soirée de l’année, qui a lieu environ tous les quinze jours.

Non, à cette vendeuse qui m’assure que cette robe en trompe-l’œil grotesque me va comme un gant alors que je sais d’avance que je vais la fourrer tout au fond de la penderie.

C’est en suivant le même processus que je me suis retrouvée amourachée de lui, et de fil en aiguille, prête à embarquer dans un avion en partance pour l’ile Maurice.

J’ai passé une nuit à l’hôtel. Blanche. Seule. Lourde de conséquences. Officiellement pour me rapprocher de l’aéroport, officieusement au seuil d’une autre vie.

Mon téléphone sonne. C’est lui, il est en retard. Un souci de clés ou je ne sais quoi, je dois le rejoindre directement à l’aéroport.  Je laisse sans doute trainer un silence une seconde de trop, il s’inquiète : est-ce que tout va bien ? Je réponds oui, comme je vous le disais, je n’ai jamais su dire non.

Je rassemble mes affaires et l’infime quantité de café ingurgitée torpille mon début d’ulcère.

Je sens mon rythme cardiaque s’accélérer lorsque je pénètre dans l’aéroport, il s’affole carrément quand je me dirige vers la zone d’enregistrement. Il est là, solaire, il ne m’a pas vue arriver. Je m’arrête un instant, détaillant cette nuque qui n’attend que mes mains, ces cheveux noirs et indomptables, ces épaules solides et ce corps sculpté. Le temps semble suspendu, je deviens spectatrice de la scène. Je suis l’épouvantable femme en train de basculer dans l’adultère :

— Attention Mesdames et Messieurs ! Ouvrez bien grands vos yeux, ouvrez grandes vos oreilles ! Dans quelques instants le destin de cette femme va basculer.

Je me ressaisis et, déboussolée, me glisse à nouveau dans mon rôle d’actrice. Je m’avance jusqu’à lui, pose une main sur son bras, il trésaille, plonge ses yeux bleus dans les miens et décoche ce sourire qui m’a fait fondre à la seconde je l’ai vu. Il se fait aussitôt pressant, tactile et je sens instantanément mes forces m’abandonner.

J’ai bien essayé de résister lorsqu’il a bloqué les dates du séminaire sur mon calendrier, mais désormais je n’ai plus la force de lutter… Je n’ai jamais su dire non. J’aime à me persuader que c’est plus par bienveillance que par lâcheté. J’ai beaucoup de mal à froisser les gens, à faire de la peine, j’enrobe la vérité et mon avis de paillettes à longueur de temps. Si j’en crois mon mari, c’est toute l’explication d’une carrière qui ne décolle pas.

Il me prend la main tandis qu’une voix suave prie les passagers du Paris-Maurice de rejoindre la zone d’embarquement. J’ai soudain atrocement chaud, je redoute ce que je m’apprête à faire et l’attends tout autant.

Il en est à me susurrer à l’oreille tous les projets qu’il a pour ce « nous » quand vient notre tour de passer aux formalités administratives.

Galant, il souhaite me laisser passer la première.

Riant et minaudant, je résiste et le pousse gentiment devant moi.

Rayonnant, il franchit la zone et m’attend, des promesses et des cocotiers plein les yeux.

Soulagée, je m’autorise enfin à inspirer profondément.

Je tends mes documents à l’hôtesse.

Mon passeport est périmé ? Vous êtes sûre ? Je fais mine de m’insurger.

Je tente une petite moue contrite à l’intention de mon bel incrédule, puis tourne sans attendre les talons, direction de la sortie.

Penser à passer récupérer les places de concert pour samedi prochain.

Acheter des macarons, les enfants en raffolent.

Je n’ai jamais su dire non.

Cette nouvelle a été publiée le 8 juillet 2016 dans ELLE.fr

 

Continue Reading

Cadavre sexy – épisode 10 (Sophie Henrionnet)

Clara régulait les rendez-vous et urgences qui se pressaient aussi bien au standard que dans l’entrée de la clinique.

Le postérieur vissé à son fauteuil de bureau (désigné par un créateur qui ne devait pas s’asseoir très souvent), l’esprit papillonnant un peu partout mais absolument pas au secrétariat, elle traitait sans discontinuer les doléances diverses et variées des patients avec une seule idée en tête : relire le message de Cyrano et lui répondre.

Continue Reading

Cadavre sexy – épisode 4 (par Sophie Henrionnet)

Une comédie romantique gratuite à suivre chaque mercredi

Les joues de Clara hésitaient entre le carmin et l’écarlate.
— Le petit salaud !
— …
— L’ordure…, reprit-elle en tapant du poing sur table, faisant trembler dangereusement les verres.
— …
— Je vais le… me… te…
— Un problème avec Éric ? tenta Delphine.
Clara reposa violemment son portable sur la table et tourna vers son amie des yeux étonnés.

Continue Reading

Manifeste pour la comédie romantique

JE PENSE DONC JE RIS

 

On ne choisit pas la comédie romantique, c’est elle qui nous choisit.
Un jour, elle se pointe sur ses talons aiguilles et balance, l’haleine légèrement parfumée au champagne : « Toi ma fille, tu vas écrire pour moi. À toi les happy end, les meilleures copines bourrées, les héros irrésistibles, les course-poursuites dans les aéroports et les quiproquos. » Et elle s’en va, en titubant légèrement (c’est désormais notre BFF), dans un nuage de paillettes. Nous, on reste là, comme des connes, alors qu’on rêvait d’écrire une auto-fiction torturée. Et on se dit : « Pourquoi moi ??! » 
Écrire pour se faire du bien, c’est mal. Écrire pour faire du bien, c’est très mal. Pourtant, au commencement, il y avait bien Adam et Eve, deux personnages de comédie romantique créés par Dieu lui-même, avec en guest un serpent qui parle comme dans un Walt Disney. Dire que si le héros avait choisi une pêche, des millénaires de relations homme-femme auraient été bouleversés…
Quelques années plus tard, Molière, Marivaux, Beaumarchais, Guitry et Colette ont écrit des comédies sentimentales qui ont marqué leur époque, fait sauter des verrous, évoluer les mœurs, mais surtout, ils nous ont fait rire.
Et puis il y a eu Bridget Jones, Carrie Bradshaw, Becky Bloomwood, et vous et nous, qui tentons de décrypter les rapports amoureux et de capter l’air du temps tout en répondant à des questions aussi existentielles que :
– Faut-il boire le mojito à moitié vide ou à moitié plein ?
– Est-il mentalement sain de vouloir les cheveux lisses quand on a les frisés, ou inversement ?
– Le bol est-il la nouvelle assiette ?
– Pourquoi « elle » avec « lui » ?
– Faut-il googler « Daniel Craig nu » ou « Tom Hardy célibataire » ?
– La femme est-elle un homme comme les autres ?
Nous, Isabelle Alexis, Tonie Behar, Adèle Bréau, Sophie Henrionnet, Marianne Levy et Marie Vareille, nous dévouons pour répondre à ce genre d’interrogations fondamentales, et militons pour le droit à la comédie romantique. Après tout, un couple sur deux ne se sépare pas (même si on ignore toujours les chiffres officiels de leur consommation d’anxiolytiques). 
Alors vive la comédie romantique, genre mineur, dont on a un besoin majeur !

 

Ce manifeste a été publié le 16 mars 2016 sur

terrafemina             huffington-post-logo.jpg

Continue Reading