Une comédie romantique gratuite à suivre chaque mercredi
La pluie battait contre les carreaux de la chambre d’hôtel. Affalée sur son lit king size, Delphine entamait le cinquième paquet de noix de cajou du mini-bar.
— Ma chérie, crois-moi, si tu étais amoureuse de ce Daniel Blok, tu ne serais pas ici avec moi, mais avec lui, en train de te siffler une bouteille de champagne rosé, nue sur le carrelage d’une cuisine en mode 9 semaines 1/2.
— David Bloch, pas Daniel, rectifia Clara machinalement, et 9 semaines et demi, on ne peut pas dire que ça finisse bien.
Delphine leva les yeux au ciel et alluma la télévision.
— On va se regarder une comédie romantique, ça te fera peut-être comprendre que l’amour ça se vit, ça se ressent, on n’a pas besoin d’un mois de réflexion pour savoir si on aime ou pas quelqu’un.…
La sonnerie du téléphone interrompit la grande démonstration philosophique de Delphine.
22h36 – David Bloch
Ma Clara, je t’ai fait une surprise, je t’attends au bar…
Clara jeta un coup d’oeil à Delphine qui venait de lancer Coup de foudre à Notting Hill. David était venu jusqu’ici rien que pour la voir, si ce n’était pas de l’amour…
— Tu sais quoi, je descends 5 minutes, commence sans moi, je connais déjà le début, dit-elle.
— Ok, dit Delphine, le regard déjà rivé sur l’écran du téléviseur, un air aussi émerveillé que si elle assistait à la résurrection de Cary Grant.
Clara marcha d’un pas rapide vers l’ascenseur. Elle boirait un verre avec David Bloch au chaud dans un des fauteuils de velours du bar du Normandy, malgré la pluie dehors… Avec cette configuration digne de Pretty Woman, c’était sûr, ce soir elle tomberait éperdument amoureuse du mystérieux Docteur Bloch.
Au moment où elle sortit de l’ascenseur, elle croisa son reflet dans le miroir et constata que le week-end copines détente s’était révélé un peu trop détente : elle avait encore les cheveux gras du massage à l’huile bio-manioc-gingembre-délices-d’orient et son jogging enfilé à la hâte après le dîner en vue de la soirée film sous la couette faisait plus Apocalypse Now que Pretty Woman. Elle hésita et pénétra dans les toilettes du rez-de-chaussée. Un ravalement de façade sommaire s’imposait.
***
— Clara, bonsoir.
Christian Lechevalier se tenait devant les lavabos, trempé de la tête aux pieds. Il n’avait absolument pas l’air surpris, comme s’il était parfaitement naturel que Clara tombe sur lui à chaque fois qu’elle ouvrait une porte de toilettes.
— Christian… Qu’est-ce que vous faites ici ? demanda Clara médusée.
— Les toilettes des hommes sont occupés et par ailleurs, je vous cherchais.
Il posa son casque de moto sur le lavabo, descendit la fermeture de son blouson de cuir, l’accrocha au porte-manteau puis constata que Clara l’observait toujours, les yeux ronds.
— Clara chérie, si nous nous marions un jour, je propose de passer sous silence cette habitude que vous avez de me poursuivre dans les toilettes publiques.
Il portait une chemise blanche trempée qui collait d’une manière indécente mais plutôt agréable sur ses abdominaux. Il entreprit de la déboutonner.
—Vous vous déshabillez ? balbutia Clara sans trop savoir si elle exprimait un désir ou terreur.
— Je me sèche, dit-il en essorant sa chemise au-dessus du lavabo, vous m’excuserez, mais j’ai fait le trajet Paris-Deauville en 2h03 sous la pluie rien que pour vous parler et comme vous pouvez le constater, il pleut.
— Me parler ? dit Clara qui ne comprenait plus rien.
Christian tout en discutant passa sa chemise sous le sèche-mains qui se déclencha et résonna bruyamment dans les toilettes déserts. Clara n’entendait rien de ce qu’il disait, mais ne pouvait détacher ses yeux de la peau de son dos bronzé, de ses épaules larges et musclées…
Avec un peu de chance il enlèverait aussi son pantalon.
— …Prévenir la police, termina Christian au moment où le séchoir s’arrêtait.
— Hein ? Quoi ?
Il enfila sa chemise et la reboutonna tout en dévisageant Clara l’air un peu étonné.
— Vous n’allez pas le laisser faire ? Ce type est dangereux.
— Qui ?
— David Bloch ! Je vous répète que j’ai trouvé sur son ordinateur des documents très compromettants.
— Qu’est-ce que vous faisiez sur son ordinateur ?!
— Vous n’avez rien écouté, constata-t-il… Je cherchais une radio pour une de ses patientes, il était absent et vous étiez en vacances, j’ai fait une recherche dans son ordinateur.
— Et ?
— J’ai cherché “Roxanne” qui est le nom de la patiente en question et je suis tombée par hasard sur des dizaines de photos de vous, au cabinet, dans la rue, devant votre immeuble… manifestement prises à votre insu.
Clara le dévisageait stupéfaite. Qu’est-ce que c’était encore que cette histoire abracadabrante ?
Christian prit son silence pour une invitation à continuer.
— Et comme il bassine le bureau depuis que vous sortez ensemble, je savais qu’il avait prévu de vous rejoindre au Normandy…
— Nous n’étions pas supposés venir ensemble !
— Et bien apparemment, il n’est pas au courant… Bref, j’ai préféré venir vous prévenir en personne.
Elle était si proche de lui, qu’elle pouvait sentir la chaleur de son corps. Elle recula d’un pas, il fallait qu’elle se ressaisisse.
— Écoutez Christian, David est amoureux de moi, c’est un grand romantique, ce qui est loin d’être votre cas, mais vous n’avez pas à vous mêler de notre histoire.
Christian passa une main dans ses cheveux mouillés, une mèche brune retomba devant ses yeux sombres qui se firent tout à coup sérieux.
— Un grand romantique qui prend des photos de vous en douce, ça s’appelle un psychopathe, Clara.
Clara leva les yeux au ciel.
— Je suis désolée, mais je vais être obligée d’être franche : vous m’avez révélé l’infidélité de mon fiancé, vous m’avez draguée et embrassée sur mon lieu de travail, vous m’avez suivie jusqu’ici et maintenant vous inventez ces histoires sur un collègue respectable. Alors le psychopathe, c’est plutôt vous. Je crois surtout que vous espérez m’ajouter à votre tableau de chasse.
Christian réprima un sourire amusé.
— Clara chérie, je sais que notre dernière “conversation” au bureau a été un peu chaude, mais je vous assure que je ne suis pas en train de vous draguer et que je vous dis la vérité.
Clara croisa les bras sur sa poitrine.
— Ah oui ? Appelez-moi encore une fois Clara chérie et je vous colle aux Prudhommes
Elle sortit en trombe des toilettes. C’était grotesque. David Bloch était un homme respectable, cette histoire de photos était tout simplement ridicule et les abdominaux parfaits de Christian Lechevalier ne l’autorisaient pas à calomnier un homme amoureux d’elle qui se comportait de manière parfaitement normale : il l’avait séduite normalement par ses textos enflammés (et anonymes), s’était renseigné normalement sur ses goûts en matière de fleurs et de poésie (en lisant son agenda) et l’avait suivie normalement jusqu’à Deauville pour …. Clara s’arrêta net à l’entrée du bar, songeuse. Elle avait pourtant bien dit à David Bloch qu’elle avait besoin de passer seule ce week-end entre copines… Était-ce vraiment “normal” de se pointer ainsi à l’improviste ? La frontière entre amour fou et psychopathie était peut-être en effet un peu floue pour le Docteur Bloch.
David Bloch lui tournait justement le dos, il passait commande au bar. Clara se faufila derrière un rideau histoire de se laisser le temps de réfléchir à ce que lui avait dit Lechevalier.
Bloch aurait-il réellement pris des photos d’elle à son insu ?
Quelques secondes plus tard, Christian Lechevalier se glissait lui aussi derrière le rideau.
— Clara, murmura-t-il d’une voix urgente, je suis désolé, c’est vrai que je vous ai draguée, que j’ai été ravi quand vous avez largué votre crétin d’ex, que j’ai été jaloux de Bloch quand il a dit qu’il sortait avec vous, j’ai manqué de professionnalisme mais je ne vous ai jamais menti et ce type est dangereux. Je vous en supplie, ne lui faites pas confiance. La police va arriver d’une minute à l’autre.
— Taisez-vous, ordonna Clara, vous allez nous faire repérer.
Elle observait entre les plis du rideau, tachant de déterminer si le dos que lui offrait à ce moment David Bloch était ou non celui d’un psychopathe.
Un serveur apporta au médecin deux coupes de champagne. C’est alors que David Bloch jeta un coup d’oeil autour de lui, puis discrètement, sortit un sachet transparent de la poche intérieure de sa veste. Après avoir de nouveau vérifié que personne ne l’observait il en sortit un petit cachet blanc qu’il glissa dans la coupe destinée à Clara.
— Oh mon dieu, murmura Clara.
— Tellement classe, le cocktail GHB-Champagne…, murmura Christian, vous me croyez maintenant ?
Clara surgit du rideau. Le reste suivit dans un grand bazar : Clara accusa, mis une gifle au Docteur. Bloch nia en bloc, Christian Lechevalier témoigna, Delphine, descendue entre temps à la recherche de son amie se scandalisa, gifla David Bloch une seconde fois, l’appela Daniel, puis réclama des noix de cajou. En fin de compte, quelqu’un appela la police. Christian réussit à immobiliser David Bloch pendant que Clara conservait l’arme du crime, à savoir la coupe de champagne, pour analyse. Après de confuses explications, le sachet de cachets trouvé dans la poche intérieure du gynécologue convainquit les policiers d’emmener Bloch au poste pour un interrogatoire en bonne et due forme.
Tout cela prit un peu de temps, et ce ne fut qu’une heure plus tard que Clara, Christian et Delphine se retrouvèrent seuls sous le lustre de cristal du hall de l’hôtel.
— Je suis désolée, dit Clara d’une voix hésitante, de vous avoir traité de menteur.
Christian sourit avec gentillesse, toute trace de sarcasme avait disparu de ses traits fatigués.
— C’est moi qui suis désolé, Clara, c’est vrai, vous me plaisez énormément, mais c’est vous qui avez raison. Nous travaillons ensemble, j’avoue que vous m’avez un peu fait perdre la tête ces derniers temps, mais je vous promets que je ne vous harcèlerai plus. J’espère que vous me pardonnerez.
Clara sourit.
— C’est oublié. Merci Christian, je vous offre un verre pour vous remercier ?
— C’est gentil, mais je vais rentrer : il n’y a plus de chambre disponible et j’ai deux bonnes heures de route.
— Bon week-end, dit Clara à regret.
Christian eut un dernier sourire charmeur et se dirigea vers la sortie
— Bon week-end les filles !
— Moi il peut me harceler autant qu’il veut, soupira Delphine en le regardant s’éloigner sous la pluie battante.
Clara ne répondit pas, les yeux dans le vide elle avait l’air ailleurs.
— Bon on va se le faire ce film ? demanda Delphine.
— Tu sais quoi ? Attends juste deux secondes.
Delphine sourit en voyant son amie se précipiter dehors, malgré l’orage.
Carla rattrapa Christian au moment où il arrivait à sa moto. Les quelques mètres qu’elle avait parcourus sous la pluie avaient suffi à la mouiller de la tête aux pieds.
— Christian ?
Il se tourna vers elle, surpris et quand il la vit trempée et tremblante, un éclair de tendresse passa dans ses yeux.
— Clara, vous allez attraper froid !
Elle s’en fichait. Elle l’attira vers elle par le col de son blouson, elle colla ses lèvres aux siennes. Surpris, il mit quelques instants à lui rendre son baiser, puis il l’enveloppa de ses bras et elle se blottit contre lui.
Elle ne savait pas ce qu’il se passerait le lendemain, si c’était pour un soir ou pour la vie, mais elle s’en fichait. C’était maintenant sous le déluge de Deauville, elle le sentait. Il n’y avait plus d’orage, plus de tempête, plus de contraintes professionnelles, juste elle et lui, ses lèvres sur les siennes, leur goût de sel et de pluie.
Et pour la première fois depuis très longtemps Clara savait très précisément, sans la moindre hésitation, ce qu’elle voulait.
— Moi j’ai une chambre, murmura-t-elle entre deux baisers, et je crois qu’on a une conversation très importante à terminer…
THE END
Auteur : Marie Vareille