Cadavre sexy – épisode 5 (par Marianne Levy)

Une comédie romantique gratuite à suivre chaque mercredi

Clara – 20.25
Je suis en place. Je répète, je suis en place. Je peux t’appeler ?

Delphine – 20.25
Grouille alors, c’est l’heure du bain donc de la guerre. Gustave tient ça de son père, il a un rapport compliqué avec l’eau #Grrrr

Clara soupira soulagée. Dans cinq minutes, elle avait rendez-vous avec le mystérieux inconnu au RTS. Le bouquet de lys blancs, la lingerie PLUS le Restaurant Très Secret , l’un des meilleurs de Paris, c’était, avait conclu Delphine après avoir pris connaissance des quelques mots sur la carte qui accompagnait le paquet Aubade, le « combo de l’amoureux parfait ».

Un dîner ?

RTS

Vendredi. 20h30.

Clara pouffa en se disant que la découverte de l’invitation dactylographiée lui avait fait autant d’effet que lorsqu’elle avait compris en lisant Autant en emporte le vent qu’entre Scarlett et Rhett  tout serait possible.

Depuis une semaine, elle était dans tous ses états. Au cabinet, elle avait même installé madame Perrault dans le fauteuil du dentiste alors qu’elle était venue pour savoir s’il était possible de la débarrasser des rides du lion.

Avec Delphine, elles avaient sillonné internet à la recherche d’infos sur le RTS. Mais, manifestement, c’était l’adresse la plus jalousement gardée de Paris car elles n’avaient pas trouvé la moindre petite photo de l’établissement. Même sur Instagram. C’était « excitant » avait-elle dit à Delphine lors d’un de leurs « briefings ».

—  À moins que… avait laissé échapper son amie.

—  À moins que quoi ?

— Non, rien oublie.

—  Ça, cela ne va pas être possible.

— À moins que… Je sais, je me répète un peu… Mais il t’a quand même offert des fleurs un jour et de la lingerie le lendemain. C’est quand même très…

— Très ?

— … sexuel pour rester dans le vocabulaire médical.

Clara avait blêmi. Et si elle était tombée sur un grand pervers qui avait, malgré cela, un goût très sûr en matière de composition florale et de littérature ? Ce n’était pas impossible. Elle n’était pas une grande chanceuse dans sa vie amoureuse après tout. Elle était bien tombée sur l’un des quinquas les plus sexys de Paris mais le seul qui avait, aussi, la force de caractère de refuser de faire un enfant à une fille de treize ans de moins que lui.

Clara fixait le tableau de bord de sa Smart. Il était 20h26. Elle était garée devant le RTS depuis 19h24. Ses sandales du soir, elles, avaient déjà commencé leur dîner. Elles mordaient sa peau avec appétit. Si elle ne les avait pas enlevées dans trois heures, elle serait sans doute obligée de dormir avec pour permettre à ses pieds de reprendre un volume normal et leur liberté. Mais bon ces petits bijoux à semelles rouges lui faisaient des pieds de déesse… Et allaient très bien avec la robe de déesse qu’elle avait choisie pour leur première soirée (elle opterait pour des ballerines pour la deuxième). Elle descendit la vitre de la Smart. C’était ça ou mourir asphyxiée dans la gaine Spanx qu’elle avait enfilée pour créer les courbes de déesse qui allaient avec le reste au risque de priver son poumon gauche d’oxygène. Elle respira longuement puis composa le numéro de Delphine.

— C’est moi, juste pour te dire, si je ne t’ai pas envoyé un SMS avec un smiley dans dix minutes, il faut prévenir la police, d’accord ?

— Promis, je mettrais aussi sur le coup le MI-5 et la CIA, on n’est jamais trop prudente. Non Gustave, pas tout le flacon de mon Chanel 5 ! Maman en a besoin pour rester calme. Et tu as envie que maman reste calme, n’est-ce pas, Gustave ? Il faut que je file, sinon ce bain va me coûter 290 euros en liquide.

20h28. Clara vérifia le reflet que lui offrait le rétroviseur. Elle remit une couche de gloss pour se donner du courage. Massa comme elle pouvait ses pieds à travers le grillage de cuir dans lequel elle les avait enfermés. Elle se promit de leur offrir un spa pour se faire pardonner. Elle descendit de sa voiture, déclencha la fermeture automatique, la confirmation sonore que lui renvoya la Smart lui sembla être un encouragement. Elle traversa la rue et se retourna pour lui lancer un regard de gratitude. Sa voiture de poche ressemblait ce soir plus que jamais à un canot de sauvetage. Elle aperçut alors une Porsche Cayenne noire stationnée juste un peu plus bas…. God ! Il s’était trahi.

Clara tituba sur les douze centimètres de talons qu’elle maîtrisait mal. Elle s’appuya sur le premier mur à sa portée. Elle ferma longuement les yeux. Et finit par sentir ses pieds entamer une danse de la joie. L’enthousiasme gagna tout son corps. Elle avait rendez-vous avec Christian Lechevalier. The Christian Lechevalier. Elle était encore plus excitée que Jay Z le jour où Beyoncé avait accepté de sortir avec lui.

***

— Mademoiselle, vous êtes attendue, lui dit l’hôtesse avec un sourire qui lui parut très complice. Veuillez me suivre.

Très émue par la perspective du rendez-vous avec le doc, elle lui emboîta le pas. Le restaurant n’offrait que des tables pour deux. Sur chacune, une orchidée s’épanouissait dans un soliflore. « Charmant », se dit-elle. Elle le vit. Elle se demanda comment il faisait pour conserver une mine splendide car cette semaine son agenda faisait la gueule, épuisé par le rythme de ses rendez-vous. Christian Lechevalier l’aperçut aussi. Il eut l’air un peu supris. Elle remercia secrètement sa Spanx qui lui donnait une allure irrésistible. C’était mieux lorsqu’on était sur le point de dîner avec « God Himself ».

Arrivée à la hauteur du chirurgien, l’hôtesse tourna dans… la direction opposée. Interloquée, Clara la suivit.

— Alors surprise, mon amour ?

Elle se laissa tomber sur le siège qui lui était offert. Une coupe de champagne l’attendait déjà. Elle but d’un trait pour trouver des forces. Et dit :

— Surprise, oui, c’est ça. Je crois que c’est exactement le mot.

Son téléphone vibra.

— Tu permets ? demanda-t-elle.

Delphine – 20.33

Je sais cela ne fait pas dix minutes… Mais ALORS ???

Clara – 20.33

Éric !!!

Delphine – 20.33

O_O J’y crois pas, t’es la seule fille de Paris qui a une blind date avec son propre mec !!!

Clara – 20.33

Pourquoi personne n’a pensé à inventer le smiley qui pleure plus que les chutes du Niagara ????!!!!

— Mon boulot au resto, mes gosses, je sais, ça fait beaucoup pour toi. Surtout Damien, il ne va pas fort en ce moment mais c’est hormonal. J’ai pensé qu’une petite soirée resto plus Aubade en amoureux, cela nous ferait du bien.

Et hop, il lui faisait encore le coup de la bouffe. Comme chaque fois qu’il avait un truc à se faire pardonner. « Du bien, enfin surtout à toi, mon pote », pensa Clara de plus en plus convaincue que leur relation virait à la win/lose. Il était le gagnant malgré la Spanx. Elle était la perdante. Clara considéra son visage marqué par 17 ans de mariage, deux ados, un divorce de luxe, plus un nombre incalculable de soirées arrosées à la « French Brasserie ». Soudain, elle trouva son homme mûr un peu trop mûr pour être encore vraiment sexy. Il jouerait peut-être dans la catégorie George Clooney quelques années encore. Commencerait ensuite probablement le cycle infernal… fixodent/déambulateur/suspensiontesticulaire. Et elle ne pourrait même pas se consoler en serrant leurs enfants dans ses bras.

Elle composa le meilleur sourire dont elle était capable. Jeta un coup d’œil à la table d’à côté. Le doc avait rendez-vous avec une créature qui ne devait consommer que des graines car on ne devinait aucune culotte miraculeuse sous sa tenue divine.

Le téléphone d’Éric se mit à sonner. Il fit la grimace de l’homme qui feint l’agonie quand son travail l’appelle. Elle lui indiqua d’un petit signe de tête qu’évidemment il pouvait aller répondre. Il quitta la table en prenant soin de commander une autre coupe de champagne. Judicieuse initiative puisque Clara avait décidé de se saouler pour oublier que l’inconnu qui lui avait offert des lys s’était sûrement trompé d’adresse. Quelque part dans Paris, une fille, qui avait les mêmes goûts qu’elle, n’avait pas reçu le bouquet qui lui était destiné.

Son iPhone vibra une nouvelle fois. Sans doute un message de solidarité de Delphine.

06 68 68 68 68 – 20.43

Huit jours déjà. Rassurez-moi, vous n’avez pas renoncé à me retrouver ?

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 Auteure : Marianne Levy

Marianne_Levy

Née au XXe siècle, Marianne Levy est un auteur hybride. Après des années passées à couvrir des événements sportifs majeurs (ouiiiii, les JO) pour plusieurs quotidiens nationaux, elle a bifurqué vers les coulisses de la télé. Critique, Marianne écrit sur les séries. Elle a également été chroniqueuse télé dans un talk radio culturel, animé des débats sur l’écriture et été juré dans des festivals de fiction. Après avoir suivi les masterclass du « script-doctor » John Truby assise au premier rang, elle succombe à son désir de raconter des histoires avec Dress code et petits secrets (2013) puis Dress code et petits secrets 2 – l’aventure américaine (2015). Son prochain roman paraîtra chez PygmalionOn peut la retrouver sur son blog I love TV so what ? Et, très souvent aussi, devant le meilleur cheesecake de Paris.
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