Nouvelles d’été – Le hipster sur le toit par Marianne Levy

Cet été, la #TeamRomCom a écrit des nouvelles sur le thème de la rencontre estivale pour Elle.fr
On les a toutes réunies sur le blog!

Marianne Levy – Le Hipster sur le toit

 

"Le Hipster sur le toit" : une nouvelle inédite de Marianne LévyC’est un peu de ta faute, aussi. Enfin, je veux dire, à toi et tes limites. Tu devrais voir quelqu’un Delphine.

Je me laissais glisser le long du mur en béton brut de la chambre d’hôtel. À 14 heures, heure de New York, je ne devais pas dormir. Pour éviter de succomber à l’appel du litking size,qui s’étalait comme un pacha au milieu de la pièce, je décidai de faire le point sur la récente évolution de ma situation amoureuse. Les mots d’adieu de David agressaient mon cerveau comme un vinyle rayé en fin de vie.

Faire le point.

Une démarche qui fige les choses. Le moment où tout ce qui est insupportable devient définitif. Faire le point au début de l’été, il n’y a pas pire. Les psys devraient interdire à leurs patients de faire le point entre le 15 juillet et le 15 août. Pénurie potentielle de Lexomil. Mauvais timing. Mais pour combattre le décalage horaire, touiller des idées noires, c’était plus efficace qu’une perfusion d’expresso.

Mon iPhone vibra. Un texto. Le dixième de Caro.

Caro – 14.02

Salut la morte-vivante, juste pour vérifier que tu ne t’approches pas trop des fenêtres. Dans morte-vivante, le mot important, c’est vivante #PourInfo

Donc, David m’avait quittée. « Je ne suis pas très vacances, je ne suis pas très couple, je ne suis pas très vacances en couple, avait-il expliqué. Et, puis, c’est un peu de ta faute, aussi. Je veux dire, à toi et tes limites. Tu devrais voir quelqu’un Delphine. »

Immédiatement mon regard s’était arrêté sur le couteau qui brillait sur la nappe à carreaux de notre Italien. L’usage intensif du possessif ne protègeait donc pas le couple, j’avais pensé. Ensuite, mon cerveau avait visualisé la lame plantée entre ses yeux. Mon coeur s’était soulevé en imaginant le jet d’hémoglobine fraîche. Puis, mon cerveau avait repris la main. Pourquoi courir le risque de ruiner l’esthétique de ma pizza bianca ? J’avais renoncé.

Mes limites.

Je m’étais contentée de lui rappeler ce que j’aurais dû faire. C’est-à-dire partir à New York avec lui. À la place, David m’avait conseillé un abonnement illimité chez un disciple de Freud.

Je me sentis seule. Seule comme la fille qui se réveille le lendemain de l’apocalypse nucléaire et constate qu’elle va devoir se taire à jamais ou tchatcher soldes d’été avec des coléoptères jusqu’à la fin de sa vie puisque personne n’a survécu à part elle.

Je me versai un verre d’Evian. La bouteille coûtait 13 dollars. Note de frais, je pensai, pour accepter l’idée qu’en bas de chez moi, à Paris, je l’aurais payée 80 centimes. Et qu’à cette heure-ci, j’aurais pu être en train de regarder Caro terminer ses linguine vongole chez mon Italien tout en laissant mon melon-prosciutto di parma pour entretenir ma ligne de morte-vivante.

Paris. David. Notre appartement. Sans lui.

Je me réfugiais dans mon iPhone. Sur Instagram, les êtres humains que je connaissais, eux, étaient heureux. Ils se noyaient dans les mojitos. Ils posaient hilares devant des mers translucides. Ils selfisaient bronzés. Ils faisaient leurs futurs enfants sans penser à leur future rentrée. À la nounou qu’il faudrait séduire. À la bonne maîtresse sur laquelle ils espéreraient tomber et pour laquelle ils seraient finalement prêts à échanger la bonne nounou…

C’est un fait, la réalité déserte les réseaux sociaux pendant l’été.

Elle prend congé de l’ordinaire.

Elle réclame sa dose de bonheur.

Je likais toutes les photos pour emmerder David. Je commentais les trente-six selfies de Caro. J’étais à New York. Sans lui. Je likais des photos. Et dopais mes commentaires aux smileys qui rient. Le message était clair : moi et mes limites, même sans lui, on allait super bien. Mon nez rougi qui coulait, c’était 100 % la faute de la clim’.

La baie vitrée ouvrait sur la ville. Je jetai un oeil en contrebas. De trentenaires cherchaient le frais dans la piscinesmall sizede l’hôtel écrasée par 38 degrés. À New York, les degrés valaient plus qu’ailleurs, aussi. Le bitume surchauffait pour faire savoir son mécontentement au soleil et métamorphosait les autochtones en victimes odorantes et collatérales.

Je soupirai. Je ne pourrais même pas faire semblant d’être heureuse en bikini sur Facebook. Les consignes de Paris étaient formelles. Je ne devais pas quitter la chambre 507 de l’hôtel jusqu’au lendemain 21 heures, heure de mon taxi pour JFK. J’observais l’architecture anarchique du Lower East Side en picorant les courgettes bios élevées à Brooklyn du minibar (9 dollars).

Mon regard s’arrêta sur la terrasse d’en face. Des transats dépareillés, un barbecue et une table de pique-nique en plastique déprimé décoraient le toit. Un type en bermuda écossais et coiffé d’une casquette des Yankees bleu marine surgit à travers la porte-fenêtre avec son MacBook sous le bras. Il s’allongea, ramena ses genoux vers lui, y posa son ordi et commença à bosser.

Mon téléphone vibra encore. Un mail. Ma boss. Je ne l’ouvris pas immédiatement. Quand ton mec te quitte après cinq ans de vie commune à une semaine d’un séjour avec vue imprenable sur laskylinede Manhattan, croire au bon karma, c’est compliqué. Même pour choisir une laitue, la pression devient énorme. Alors, le boulot…

Je repensai aux consignes de Caro.

Morte vivante, OK. Mais l’important, c’est morte-vivante ultra pro #ChanceDeTaVie.

Tout avait commencé la veille au bureau.

***

— Il paraît que vous ne partez plus à New York, Delphine ?

Boss n’avait pas le temps pour les détails.

J’avais confirmé.

— Assistante de rédaction, rassurez-moi, ce n’était pas votre but ultime dans la vie ?

Je l’avais rassurée.

— Parfait ! Vous prenez demain le premier vol pour New York. L’agent de Lee Dohan vient de me promettre une interview exclusive. C’est la quinzième fois. Delphine, je vais être franche : je n’y crois plus. Et, en plus, avec les vacances, j’ai le choix entre lui…

Elle avait désigné consternée un vieux rédacteur dépressif qui haïssait les gens après trente ans de métier.

— … des stagiaires et vous. Ce sera donc vous. On ne s’emballe pas. Je vous envoie par précaution. Je ne veux pas vexer l’agent. Surtout ne jamais vexer un agent, Delphine.

Puis elle m’avait tendu le dernier roman de Dohan, écrivain fantôme et surdoué dont personne ne connaissait la véritable identité.

***

J’ouvris le mail de Boss.

Toujours pas de nouvelles… Mais ne quittez pas la chambre. Au cas où.

Un peu révoltée par les 24 heures de vraies fausses vacances à New York qu’elle m’avait offertes, j’abandonnai mon poste d’observation pour rejoindre le lit.

Je sombrai.

La bouche pâteuse et frigorifiée par la climatisation, je levai la tête de l’oreiller. Le radio-réveil indiquait 2 heures du matin. Je me rappelai que je n’étais pas à Paris. Quittais douloureusement le lit, fis quelques pas pour détendre mes jambes engourdies. J’écartai le rideau perlé qui protégeait l’intimité de ma chambre et tombai sur mon voisin toujours torse nu qui se faisait un film en plein air sur un écran à l’ancienne maintenu par un pied télescopique. J’imaginais qu’il regardaitManhattan.

Je filais aux toilettes et me dis que le designer de l’hôtel devait avoir une passion pour les maisons funéraires. Elles étaient noires comme la douche, comme le parquet, comme la chambre, comme mon humeur à moi. Je me brossais les dents en évitant mon reflet de zombie dans le miroir. Enfilai un sweat sur mon tee-shirt, coupai la clim’ et replongeais avec délice dans les draps italiens.

À 6 heures, Beyoncé jaillit du radio-réveil. Je chassai la boule venue me rappeler qu’il était inutile de me retourner car je ne pourrai me blottir dans les bras de personne de l’autre côté du lit. Puis composai le numéro duroom servicedécidée à prendre un petit déjeuner de luxe en regardant le jour réveiller Manhattan. Je commandai des pancakes. Sans myrtilles. Sans framboises. Double portion de fraises et triple chantilly, sur le côté.

Mon voisin d’en face était matinal, lui aussi. Il se baladait nu dans son appartement. Mes limites m’interdisaient de fixer l’anatomie d’un homme qui n’était pas le mien. Pourtant, je n’arrivais pas à détacher mon regard. Je n’avais jamais vu de fesses aussi blanches. Je réfléchis. Je n’avais pas vu beaucoup de fesses, en fait. Personne n’aurait reproché à Rodin de fixer le cul de ses contemporains pour comprendre la vie. Ne pas culpabiliser, donc.

Mon voisin s’immobilisa. Il devait m’avoir repérée. Je m’éloignai de la fenêtre. Puis, j’osais regarder à nouveau. Il brandissait un morceau de carton sur lequel était écrit : Arrêtez de regarder ! Je fis un pas en arrière. Mon tee-shirt La Rose Pourpre du Caire couvrait à peine le haut de mes cuisses. J’aurais dû rougir. Mais je saisis le bloc-notes de l’hôtel et griffonnais : Portez un caleçon !

Il disparut puis revint avec une provision de feuilles A4. Il avait enfilé son bermuda écossais et semblait motivé pour entamer une conversation.

– Je suis chez moi ! écrivit-il

– Dans mon pays, c’est illégal !  je répondis.

– Quel pays ?

– La France. 

– Je ne vous crois pas !

– Vous devriez ! 

– Les choses ont bien changé alors. On en parle devant un petit déjeuner ? 

J’hésitais. J’envoyai un SOS à Caro.

Delphine – 6.04

Je crois que je suis en train de devenir voyeuse pratiquante.

Caro – 6.04

?

Je résumais la situation dans un petit texto.

Cinquante-cinq lignes.

Une photo.

Caro – 6.15

Ce type remet son bermuda rien que pour toi à New York et tu finasses ? Delph’, un psy, ça va pas suffire, il faut envisager l’internement #Fonce

Je réfléchis encore. Sur le principe, c’était tentant. Pour comprendre la vie, les fesses blanches c’est important. Mais, en pratique, c’était un truc à finir dans les pages faits-divers du New York Post. Finalement, je me dis qu’aucun psychopathe capable de découper une Française en morceaux et de jeter ensuite les morceaux dans l’Hudson à l’aide de sacs en plastique biodégradable ne regarderait un film de Woody Allen au milieu de la nuit sur un toit. Je jetai encore un coup d’oeil. Il était toujours là. Je finis par répondre.

– Je ne peux pas sortir.

– ?

– Le boulot

– Moi, je peux sortir.

– Chambre 507

Sous sa barbe, je devinai un sourire.

On sonna. Le garçon d’étage avec mon petit déjeuner. Je signai la note. Refermai la porte et attendis. On sonna encore. Mon coeur s’emballa. Mais mon cerveau le rattrapa à temps pour lui rappeler le principe des limites. Je fis glisser la chaînette de sécurité avant d’ouvrir.

— Vous regardiez quoi comme film, cette nuit ? je demandai à travers la porte.

Annie Hall. C’est illégal aussi ?

Je respirai, soulagée.

Il entra. À cause de la puissance des associations d’idées, je pensai à Woody Allen puis à la peau rousse qui supporte mal le soleil puis aux fesses lactées du hipster devant moi. Je n’osais pas le regarder dans les yeux. Je lui tendis la main en fixant ses tongs. Il la serra.

— Donc vous êtes Française et vous prétendez que la nudité est illégale, permettez-moi d’en douter, je peux voir vos papiers ? dit-il.

Sa voix indiquait qu’il s’amusait beaucoup. L’odeur de sa peau qu’il s’était savonné avant de traverser la rue.

— Vous… vous voulez manger ? je demandai.

— C’est le principe du petit déjeuner… On ne devait pas parler droit comparé, dites donc ? demanda-t-il en fixant la double portion de fraises et la crème fouettée.

Pour tout un tas de raisons, dont son torse sculpté par les paniers de basket qu’il devait passer des heures à marquer sur le terrain d’à côté, je commençais à hyperventiler. J’avais envie de hurler : « Vous pourriez arrêter de sourire mieux que James Franco, SVP ? »

Il s’approcha. Je me sentis obligée de préciser :

— Les fraises, la chantilly, d’abord c’est ultra cliché. Ensuite c’est pas du tout mon style parce que vous comprenez vingt et un siècles de tradition judéo-chrétienne, ça pèse une tonne… je balbutiai.

— Non mais je sens que vous allez tout m’expliquer, dit-il en s’approchant encore.

— J’ai… j’ai toujours fait l’amour sur le dos, vous savez.

— Faire l’amour, OK. Cette petite visite de voisinage devient passionnante… dit-il encore.

Il fit un pas de plus. Je reculai encore, butai et tombai sur le litking size. Un hipster charmant vu d’en bas, c’est comme la Terre vue du ciel. Magnifique.

Ce qui allait se passer était entièrement de la faute de David.

Toi et tes limites, je veux dire.

Doucement, le hipster se pencha vers moi. Il murmura : « Pour moi aussi, c’est une sorte de première fois ». J’allais lui demander pourquoi. Mais je me dis que je ne voulais rien connaître d’autre que le goût de ses lèvres sur les miennes. Évidemment, c’était une façon de parler. De ne pas parler, plutôt.

Quand le soleil commença à décliner sur Manhattan, lui et moi, nous étions tombés d’accord sur la magie du souvenir. Nous n’allions pas nous écrire. Ni nous appeler. Même si nos corps se quittaient à regret.

Un baiser.

Un dernier.

Encore un dernier.

La porte qui se referme.

Et moi qui souris.

Mon iPhone n’avait pas sonné. Personne n’était venu me chercher chambre 507. Devant l’hôtel, un taxi jaune m’attendait. Je m’y engouffrais. Au coin de Houston Street, en pensant au plateau-repas d’Air France, j’eus une subite envie de Deli. Je demandai au chauffeur de s’arrêter. Trois accros au pastrami patientaient devant moi. Je filai aux toilettes. Je me lavais les mains puis souris au porte-serviette en me repassant le film de mes 24 heures à New York. Quinze SMS de Caro attendaient dans mon iPhone que je lui projette aussi.

Je vérifiais mon reflet dans le miroir quand j’entendis : « Hey Dohan, bonne soirée ! » Je me précipitai vers la sortie. Je n’aperçus qu’une silhouette. Un homme se perdait dans la foule. Il portait un bermuda écossais et une casquette des Yankees bleu marine.

J’avais vu quelqu’un qui m’avait fait du bien.

Ce n’était pas un psy.

Cette nouvelle a été publiée le 28 juillet 2016 dans ELLE.fr

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Les nouvelles d’été – Paris Paros par Tonie Behar

Cet été, la #TeamRomCom a écrit des nouvelles sur le thème de la rencontre estivale pour Elle.fr
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Tonie Behar – Paris Paros

« Paris Paros » : une nouvelle inédite de Tonie BeharC’était un coup de tonnerre dans le ciel immuablement bleu de Paros. Un tableau de maître avait été volé en pleine journée chez un collectionneur. On parlait de dizaines de millions d’euros, certains affirmaient même des centaines! Dans le grand salon blanc de sa villa dévastée, Audrey Hatchuell pleurait à chaudes larmes. Ce petit Modigliani volé était le cadeau d’anniversaire que lui avait offert son mari pour ses trente ans. Les policiers de l’île avaient interrogé tous les malfrats recensés de la rade, on avait envoyé du renfort d’Athènes. Personne n’avait quitté l’île et on ne retrouvait pas le tableau. C’était incompréhensible.

Une semaine plus tôt.

Accoudé au bastingage du ferry Blue star, Elias Horville regardait se rapprocher les côtes de Paros, petite île des Cyclades où il venait passer chaque année quelques jours de farniente chez ses amis les Michalac. Malgré son pied marin, il se sentait un peu nauséeux, la traversée depuis le port du Pirée ayant été perturbée par le Meltem, ce facétieux vent grec qui s’amuse à bousculer les eaux turquoise de la mer Egée.

Il entendit des rires féminins accompagnés de commentaires appréciateurs prononcés en anglais qui lui étaient certainement destinés, mais ne se retourna pas. Assises à quelques mètres de lui, quelques londoniennes agitées l’avaient pris pour cible. C’était un fait, Elias Horville plaisait aux femmes. Ses yeux verts un peu tombants et sa mâchoire bien dessinée lui faisaient une tête de voyou sexy qui lui convenait à moitié. Il se rêvait plutôt en dandy fin et élégant, nonchalamment vêtu de lin blanc.

Il enfonça plus profondément sa casquette de baseball sur les yeux contempla la mer. La situation familiale était encore plus déplorable que les années précédentes et il n’avait pas le cœur à se détendre alors que sa mère restait seule à Paris. Il avait hésité à la quitter, mais elle avait insisté pour qu’il parte. Silvia Horville avait pour philosophie de toujours accepter une occasion de s’amuser.

Elias vivait avec sa mère Sylvia et sa sœur Cléo dans une vieille maison Montmartroise, nichée dans le hameau des artistes, qui avait connu des jours meilleurs avant de tomber en décrépitude. La toiture fuyait, les murs rêvaient d’un bon coup de peinture,  les meubles traînaient la patte, et rien dans leur situation actuelle ne permettait de dire ça allait s’arranger.

La semaine précédente, après le dîner pris sous le tilleul, dans le jardin envahi d’herbes folles, sa mère leur avait annoncé sa décision. Celait faisait sept ans, depuis la mort de leur père, que ça leur pendait au nez. Cette fois, Silvia Horville avait tranché. Elle  vendait la baraque et chacun de ses enfants pourrait enfin se construire une vie.

Leur père, adorable fêtard, était mort en leur léguant ses dettes de jeu et sa maison, héritée d’un grand-père sculpteur. Elias et Cléo avaient tenté sans succès de maintenir le navire à flots.  Dans leur famille on savait rêver à de beaux projets, jouer aux cartes, organiser des fêtes, mais on avait du mal avec les contingences matérielles. Dans son atelier aux hautes fenêtres de verre, Silvia peignait sans jamais vouloir montrer ses toiles. Cléo était comédienne, mais n’aimait pas les castings. Elias lui était photographe. Au cours de l’hiver, il avait exposé dans une galerie de Bastille. Le fruit des ventes avait servi à changer la chaudière hors d’âge et payer les factures avant l’arrivée des huissiers. Il songeait avec amertume qu’à trente-cinq ans, il n’envisageait pas une autre vie que celle, bohème et légère, qu’il menait à Montmartre. Surtout, il se demandait ce que ferait sa mère, une fois sa chère maison vendue, et pensait qu’elle n’y survivrait pas.

En arrivant dans la villa de ses bons amis les Michalac, Elias verrouilla ses soucis au fond d’un tiroir obscur de son cerveau. Puis il afficha sur son visage ce fameux sourire qui faisait fondre les femmes et donnait aux hommes l’envie de lui ressembler.

Comme tous les ans, Isabelle Michalac avait organisé un grand dîner réunissant tout ce que l’île comptait de parisiens amoureux de maisons blanches et de mer limpide.  La table était dressée, de longs voilages blancs flottaient au vent et des dizaines de bougies  brillaient comme des lucioles dans leurs lanternes de verre. Le maître de maison avait préparé le spritz et l’ouzo. Les mezzedes attendaient sur le buffet et le barbecue crépitait.  Elias naviguait comme un poisson dans l’eau entre les convives. Ils étaient une douzaine, journalistes, créatrice de mode, gens des médias, avocat… Toutes les conversations bruissaient du même scandale : Fabrice Hatchuell, richissime marchand d’art contemporain qui avait abondamment trompé sa femme au printemps, s’était annoncé au dîner de l’été avec sa maîtresse, une jeune journaliste qui lui avait complètement tourné les sangs.  Définitivement transi d’amour, il répétait à qui voulait l’entendre qu’il la baisait comme un fou et même comme un dieu (sans doute grec).

Quel plaisir de bitcher sur une croustillante histoire d’adultère entre deux gorgées de Spritz ! Les rires jaillissaient des dents blanches et se perdaient sur les peaux bronzées. Autant dire que la totalité des convives attendait le nouveau couple de pied ferme.

Seulement voilà, quand Fabrice Hatchuell arriva, très en retard, ce fut avec sa propre femme à son bras. Tout le monde se retrouva avec des questions brûlantes au bord des lèvres et l’impossibilité de les poser !

Elias regardait avec curiosité la jeune femme qui se tenait droite et souriante, évoquant comme si de rien n’était, sa vie idyllique – sa maison de campagne, son chalet en suisse, ses vacances aux Maldives –  avec son mari.

A table, le sujet planait, gros comme un avion, sur l’assemblée. Pourquoi ce retournement de situation ? Où était donc passée la jeune maîtresse? Les Hatchuell s’étaient-ilsvraimentréconciliés ?

Isabelle Michalac avait placé Elias à côté de l’épouse bafouée, sachant qu’il saurait se conduire exactement comme il le fallait. Il l’observait à la dérobée, grande, brune, avec une lourde poitrine sensuelle qui contrastait avec son maintien aristocratique, sa longue chevelure noire flottait autour de son visage de duchesse vénitienne.

–        Franchement chapeau, vous les avez tous scotchés. Personne ne moufte.

–        Je ne vois pas de quoi vous parlez.

–        Avant votre arrivée, tout le monde ne parlait que votre mari et sa bimbo.  Vous le savez je suppose.

–        Ah ça ! dit-elle en agitant la main, désinvolte. Comme si elle chassait une particule de poussière dans l’air du soir.

Puis elle tourna la tête pour parler à son voisin de gauche et le cœur d’Elias se serra. Désolé soudain. Derrière le masque il avait vu son visage. Cette femme souffrait horriblement. Elle était malheureuse, blessée, perdue. Elle voulait donner le change.

–        Ma mère me dit toujours que quand on n’a pas le moral, il faut faire quelque chose qu’on n’a jamais fait. Une chose un peu folle par jour.

Elle planta son regard dans le sien, un peu méprisante.

–        Un dérivatif ?

–        Non. Plutôt un moyen de voir les choses d’un point de vue différent.

–        Et vous avez une expérience un peu folle à me proposer ?

Il la fixa suffisamment longtemps pour qu’elle comprenne. Puis prononça en souriant insolemment :

–        Couchez avec moi.

Elle avait dit oui, tout simplement. Il lui avait donné rendez-vous le lendemain après-midi, à l’heure de la sieste, dans une petite pension de famille où il se rendait autrefois et dont les propriétaires étaient devenus des amis.  Tout en se préparant à dormir, il se demanda si elle viendrait. Elle avait dans le regard une petite flamme vacillante qu’il avait reconnu. A chaque fois, elles étaient pour lui : les princesses détraquées, les fragiles, les blessées de la vie. Il possédait un radar interne infaillible pour les repérer, les atteindre, les secourir.  Le mécanisme s’était mis en marche, il la voulait.

Elle arriva presque à l’heure, vêtue d’une courte robe blanche qui dénudait ses épaules bronzées, ses longs cheveux noirs répandus dans son dos, de fines sandales plates lacées sur ses pieds de statue et un parfum d’huile solaire sur sa peau cuivrée.

C’est toujours un peu magique ce moment où la fièvre vous prend. Quand deux quasis inconnus s’approchent l’un de l’autre. Les lèvres s’effleurent, les mains se joignent, les souffles deviennent courts. Le fait que l’autre soit presque un étranger rend la chose légèrement terrifiante, donc plus excitante encore. Audrey se faisait presque violence pour affronter ce type dont encore hier elle ignorait l’existence. Elias et son irrésistible tête de gangster, Elias et son sourire « frissons garantis ». Il possédait une animalité, une sensualité brute. Son cœur battait à rompre et elle fermait les yeux en s’agrippant  à ses épaules larges et brûlantes. Leur baiser s’intensifia. C’est elle qui l’entraîna sur le lit.

Ils se retrouvèrent chaque jour dans la petite chambre fraîche aux volets clos. Sur le grand lit aux draps blancs,  il y avait toujours une nouvelle chose un peu folle à découvrir, et quelques confidences à échanger.

La veille du départ d’Elias, Isabelle Michalac organisa une journée en mer. Elle avait loué un grand bateau de pêcheur  et invité toute la compagnie. On allait pique-niquer dans une crique, se baigner dans l’eau limpide, écouter de la musique et siester dans le balancement des vagues.

Elias arriva un peu en retard, il avait dû terminer sa valise car il partait le lendemain à l’aube. Audrey était déjà à bord, impassible à côté de son mari. Pour Isabelle Michalac, organisatrice hors pair et reine incontestée du petit groupe, ce fut une journée parfaite.

Au crépuscule, les Hatchuell découvrirent que leur villa archi sécurisée avait été cambriolée. Le vol avait été commis en plein jour, pendant qu’ils se trouvaient en bateau avec tous leurs amis. Parmi les nombreux chefs-d’œuvre qui ornaient leurs murs, un seul manquait à l’appel : un Modigliani de petite  taille que Fabrice avait offert à Audrey un an plus tôt, pour ses trente ans. La jeune femme sanglotait, prostrée sur un fauteuil de métal aux formes étranges qui parut des plus inconfortables à Guigas Theodorides, le chef de la police de Paros chargé de l’enquête.

Dans l’avion qui le ramenait à Paris, Le Modigliani glissé à plat dans le double fond de sa valise, Elias Horville pensait à Audrey Hatchuell… et à sa surprenante force de caractère.  La jeune femme était pâle et crispée quand il l’avait rejointe, un peu essoufflé sur le caïque des Michalac.

–        Il n’est pas rentrée de la nuit, il croit que je ne m’en suis pas aperçue, avait-elle murmuré entre ses dents serrées. Cette fois, je me suis vraiment vengée.

Et puis sans mot dire, elle lui avait tendu une serviette de plage enroulée en lui recommandant de la glisser dans le sac où étaient rangées ses affaires de plage.  Il l’avait regardée, étonné.

–        Le Modigliani.  Il est pour toi. J’ai ôté le châssis pour qu’il soit facilement transportable et j’ai aussi volé le certificat d’authenticité. Quand tu seras à Paris, va voir Jean Dupont de ma part. Il te le rachètera un bon prix, sans poser de question.

Et comme il protestait, la traitant d’insensée, elle l’avait interrompu :

–        Un ami m’a appris que quand on n’a pas le moral, il faut faire une chose totalement nouvelle et un peu folle. Comme accepter le cadeau d’une femme reconnaissante.

–        Mais tu adores ce tableau !

–        Plus maintenant.

–        Comment tu as fait pour ne pas qu’il s’en aperçoive ?

–        Je l’ai pris alors que Fabrice m’attendait dans la voiture. Je lui ai dit que j’avais oublié mon livre. Il était tellement occupé à sextoter à sa pouffe qu’il ne  s’est même pas rendu compte que j’ai mis un peu trop de temps. J’en ai profité pour mettre le salon à sac. On dirait vraiment qu’il y a eu un cambriolage !

Il secouait la tête, en disant qu’il ne pouvait pas accepter. Face à ses refus, elle s’emporta :

–        Tu as plus besoin de cet argent que lui ! Malin comme il est, il se fera rembourser par les assurances. Toi, tu pourras garder ta maison. Et ta mère n’aura pas à déménager.

A la descente de l’avion, Elias avait ressenti un petit pincement de frayeur en passant devant la douane. Il releva la tête, traina sa valise tranquillement et passa sans encombre. De l’autre côté des parois de verre, Silvia et Cléo l’attendaient, comme toujours gaies, aimantes et merveilleusement jolies. Il serra les deux femmes de sa vie contre lui.

Cette nouvelle a été publiée le 17 août 2016 dans ELLE.fr

 

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Cadavre sexy – épisode 8 (par Tonie Behar)

Une comédie romantique gratuite à suivre chaque mercredi

 

 

Déboussolée, Clara referma vivement la porte du cabinet du Dr Bloch pour pousser celle du Dr Lebon. Le généraliste était déjà assis derrière son bureau, les cheveux gris soigneusement peignés et le nœud papillon bordeaux vissé au col de sa chemise bleu ciel. Il l’accueillit avec un sourire plein de sollicitude

– Bonjour Clara ! Comment allez-vous mon petit ? Vous êtes toute pâle !

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Cadavre sexy – épisode 7 (par Isabelle Alexis)

Une comédie romantique gratuite à suivre chaque mercredi

—Ah ? s’étrangla Clara, je pense que vous devez confondre…Ce n’est pas possible.

—Je crois bien que si, répondit Christian en jetant un dernier regard dans le miroir… Mais je suis là, si vous voulez, je peux vous consoler.

Il venait de se planter devant elle et l’observait sans bouger, les yeux à nouveau rieurs.

—Non. Je ne vous crois pas. La seule chose que je crois c’est que…

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Cadavre sexy – épisode 6 (par Marie Vareille)

Une comédie romantique gratuite à suivre chaque mercredi

Clara soupira et commença à jouer avec le couteau en argent sur la nappe damassée. L’absurdité de la situation lui sautait aux yeux. Elle avait été prête à accepter un rendez-vous secret avec un parfait inconnu… Peut-être était-il temps qu’elle se pose les bonnes questions. Eric avait ses défauts, mais au moins il était fidèle. Elle, elle courait en talons et sous-vêtements en dentelle à l’appel du premier inconnu qui lui envoyait trois vers en anonyme ? Qu’est-ce qui lui passait par la tête en ce moment ?

Eric, toujours au téléphone, faisait des allers-retours devant l’accueil du RTS. Il eut un petit signe d’excuses à l’attention de Clara qui se força à sourire et détourna les yeux.

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Cadavre sexy – épisode 5 (par Marianne Levy)

Une comédie romantique gratuite à suivre chaque mercredi

Clara – 20.25
Je suis en place. Je répète, je suis en place. Je peux t’appeler ?

Delphine – 20.25
Grouille alors, c’est l’heure du bain donc de la guerre. Gustave tient ça de son père, il a un rapport compliqué avec l’eau #Grrrr

Clara soupira soulagée. Dans cinq minutes, elle avait rendez-vous avec le mystérieux inconnu au RTS. Le bouquet de lys blancs, la lingerie PLUS le Restaurant Très Secret , l’un des meilleurs de Paris, c’était, avait conclu Delphine après avoir pris connaissance des quelques mots sur la carte qui accompagnait le paquet Aubade, le « combo de l’amoureux parfait ».

Un dîner ?

RTS

Vendredi. 20h30.

Clara pouffa en se disant que la découverte de l’invitation dactylographiée lui avait fait autant d’effet que lorsqu’elle avait compris en lisant Autant en emporte le vent qu’entre Scarlett et Rhett  tout serait possible.

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Cadavre sexy – épisode 4 (par Sophie Henrionnet)

Une comédie romantique gratuite à suivre chaque mercredi

Les joues de Clara hésitaient entre le carmin et l’écarlate.
— Le petit salaud !
— …
— L’ordure…, reprit-elle en tapant du poing sur table, faisant trembler dangereusement les verres.
— …
— Je vais le… me… te…
— Un problème avec Éric ? tenta Delphine.
Clara reposa violemment son portable sur la table et tourna vers son amie des yeux étonnés.

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Cadavre sexy – épisode 3 (par Adèle Bréau)

Une comédie romantique gratuite à suivre chaque mercredi

La journée s’était déroulée comme souvent, sans que Clara trouve une seconde pour penser, se poser, téléphoner ou même prendre le temps d’une pause déjeuner. Et ça n’était souvent pas plus mal, car cela lui évitait de ressasser l’attitude quotidiennement exaspérante d’Éric. En revanche, cette fois-ci, l’attention de la jolie assistante médicale avait été plus qu’absorbée par le petit théâtre virevoltant de la clinique. Un à un, elle avait détaillé ses protagonistes, cherché dans une attitude, un regard ou une gêne soudaine, même imperceptible, à démasquer chez les quatre médecins dont elle gérait les agendas, l’amoureux transi.

Las ! Lebon était resté fidèle à lui-même, enchaînant sans sourire les grippés, les nauséeux et les malades imaginaires ; Taïeb avait ri avec sa jovialité habituelle à chaque poignée de main rassurée de ses patients inquiets – le dentiste conservait sans conteste la place maîtresse dans l’imaginaire angoissé des salles d’attente –, God avait passé un long moment avec sa Pute, pardon Pouzzh, avant de foncer à son club de tennis en ânonnant un « à plus tard » peu amène, quant à David Bloch, il avait appelé pour la prévenir qu’il était d’accouchement. Le mystère restait entier, et le colonel Moutarde avec son chandelier. 

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Cadavre sexy – épisode 2 (par Tonie Behar)

Une comédie romantique gratuite à suivre chaque mercredi

 

Quelle femme normalement constituée ne profiterait pas d’un bouquet envoyé par un prétendant pour titiller la jalousie d’un compagnon un peu distrait ? Distrait au point d’oublier de l’embrasser avant de partir. Distrait au point d’oublier de la demander en mariage après trois ans de vie commune. Distrait au point d’oublier de lui faire l’enfant dont elle rêvait….
Clara prit le temps de disposer les lys blancs dans grand vase, sur la console de l’entrée, le genre de signal que même un grand malade de la distraction ne pouvait rater en rentrant chez lui. Elle se demanda si elle laissait aussi la carte en évidence, et puis non. Les mots de Christian Bobin étaient pour elle. C’était son secret.

Elle regarda le bouquet, puis la carte de visite et sourit. Les fleurs venaient de chez Lachaume. L’amoureux mystère faisait dans le grand chic. « Toi mon pote, tu ne vas pas rester inconnu très longtemps » dit-elle au carton de bristol.

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Cadavre sexy – épisode 1 (par Isabelle Alexis)

Une comédie romantique gratuite à suivre chaque mercredi

— Tu comprends, si ça se trouve, on est à un cheveu d’une guerre civile ou mondiale d’ailleurs… Va savoir ! Personne ne sait, s’écria Eric de la salle de bains
« Eh oui ! » répondit doucement Clara, en rabattant la couette sur les édredons. « C’est ici que tu vas l’ avoir ta guerre civile mon pote ! » pensa-t-elle.
À chaque fois qu’elle parlait mariage et/ou bébé, c’était la même chose. Il répondait politique, géo-politique et les gouvernements des grandes puissances qui naviguaient à la va-comme-je te pousse dans le brouillard. Même Obama ! On ne comprenait pas ce qu’il voulait, ce type !

Elle, Clara, savait très bien ce qu’elle voulait. Elle allait avoir trente-sept ans au mois de novembre, quatre ans de vie commune avec Eric et… et puis voilà ! Pour Eric, tout était parfait ainsi. L’officialisation, la bague, une pièce montée et puis un bébé, mais nooonn… Il avait déjà connu tout ça, c’était très surfait. Marié pendant 17 ans, le chéri avait eu un divorce difficile et avait été obligé de faire quinze jours de plongée sous-marine dans le sud de l’Italie pour s’en remettre ! Avec ses quatre meilleurs copains !

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