Cadavre sexy – épisode 7 (par Isabelle Alexis)

Une comédie romantique gratuite à suivre chaque mercredi

—Ah ? s’étrangla Clara, je pense que vous devez confondre…Ce n’est pas possible.

—Je crois bien que si, répondit Christian en jetant un dernier regard dans le miroir… Mais je suis là, si vous voulez, je peux vous consoler.

Il venait de se planter devant elle et l’observait sans bouger, les yeux à nouveau rieurs.

—Non. Je ne vous crois pas. La seule chose que je crois c’est que…

—Oui…dites-moi…

— Tout ce petit jeu : ce parcours du combattant pour vous trouver, c’était donc vous ? murmura Clara.

— Quoi ?

— Ça vous amuse de jouer ?

— Ah oui. La vie est un jeu, Clara. Un jeu auquel j’aime gagner. C’est fou, ces ondes que vous m’envoyez…

— Quelles ondes ?

— Ces ondes qui me demandent de vous plaquer contre le mur et de vous embrasser…

— N’importe quoi. Pas du tout !

— Ce n’est pas de votre faute, chérie. Vous n’y pouvez rien.  Mais je ne le ferai pas, dit-il en riant. L’endroit n’est pas assez romantique pour vous… Pour nous.

— Répondez-moi franchement : les lys ? C’était vous ? J’ai le droit de savoir maintenant…

— Les quoi ?

Soudain une clameur leur parvint : « Clara ! Clara ? mais t’es où bon sang ? » Eric la cherchait, en face, dans les toilettes appropriées.

— Oh zut, il y a papa qui nous cherche, dit le chirurgien. Loin de le déstabiliser, il fit encore un pas vers Clara. Vous voulez que je vous embrasse quand même avant qu’il nous trouve ?

La porte des toilettes s’ouvrit et Eric les découvrit tous deux face à face et très proches.

— Ah quand même ! Mais qu’est-ce que tu fabriques, Clarinette ? J’ai cru que tu t’étais évanouie sur les…bref…

Le regard toujours plongé dans l’autre, les deux n’eurent aucune réaction.

— Excusez-moi, vous êtes en train de faire une attaque ou quoi ? demanda Eric, en leur tournant autour.

Clara bougea enfin.

— Oh, Eric, je te présente un des médecins de ma clinique : Christian Lechevalier qui est chirurgien esthétique…

— Bonsoir, dit Christian simplement, sans lui serrer la main.

Méfiant, Eric lui rendit sa non-poignée de main.

— Je peux savoir ce que vous foutez ?

— J’étais en train de proposer à Clara de faire un moulage en latex de sa poitrine pour en faire un buste et le mettre dans mon bureau. Pour mes patientes évidemment, pour qu’elles puissent me commander les seins parfaits. Hein ? Qu’est-ce que vous en pensez ?

— J’en pense que tu vas aller mouler ceux de ta mère, ouais ! répondit Eric, agressif…

— Ensuite, pour la remercier, poursuivit Christian sans se démonter, je lui proposais de venir passer quelques jours dans mon chalet à Megève. Là, je lui ferai l’amour par terre devant un feu de cheminée et un seau à champagne contenant un Laurent Perrier brut millésimé et…

— Mais il est taré ce type ! s’écria Eric, le poing serré en direction de la trop belle gueule.

Le chirurgien taquin ayant anticipé, il put l’esquiver comme un poids moyen sur un ring et l’uppercut d’Eric atterrit de plein fouet dans les carreaux noirs au-dessus du lavabo. Il cria de douleur en secouant ses phalanges tandis que Christian s’emparait de la main de Clara pour y déposer un léger baiser et s’éclipser furtivement. Clara observa le battement de la porte se refermer au ralenti. Comme cette porte, elle avait l’impression d’avoir vécu toute la scène au ralenti.

— Ça va, je te dérange pas trop ? cria Eric, plié en deux, le poing entre ses cuisses.

— Mon Dieu, Eric, mais qu’est-ce qu’il t’a pris ? Montre-moi ta main ! Tu saignes ? Tu veux qu’on appelle un médecin ?

— Bien sûr, rappelle ton pote ! Je ne le louperai pas cette fois ! Il me reste un deuxième poing… Je vais lui mettre, je vais lui mettre…

— Mais t’arrêtes, à la fin ! Calme-toi ! Tu t’es regardé ? T’as vu comment tu te comportes devant un de mes patrons ?

— Quoi ? Parce que c’est de ma faute en plus ? Madame reste une plombe dans les chiottes, je la retrouve collée serrée avec son boss qui m’annonce tranquille qu’il va la baiser devant la cheminée de son chalet et c’est de ma faute ??! Putain, ah il y a des soirées comme ça ! Ne me touche pas, dit-il en se dégageant.

La fin de soirée fut des moins glamour… Ils remontèrent à leur table sans un mot. Un coup d’oeil dans la salle informa Clara que Lechevalier avait quitté les lieux. Elle n’osa pas demander si la proposition de mariage tenait toujours. Eric appela pour l’addition très rapidement.  Avec la serviette de table autour de ses phalanges comme un bandage, il se reprit à deux fois pour faire son code de carte bleue… en maugréant dans sa barbe des mots que Clara ne préférait pas comprendre.

Dans la Smart, sur le chemin du retour, Clara tenta de briser l’atmosphère glaciale en lâchant :

— Je ne sais pas pourquoi il t’a dit tout ça, tu sais. Il n’était pas du tout en train de me proposer ni de faire un moulage de mes seins, ni de partir en vacance à la montagne… Il plaisantait. Il doit prendre des médicaments qui se mélangent mal avec l’alcool. J’ai pu constater que les médecins n’hésitent jamais à se faire eux-mêmes des ordonnances et…

— Clara ?

— Quoi ?

— Ferme-là !

À la maison, une fois dans leur chambre, Clara ôta sa robe en soupirant. Elle renonça au petit déshabillé en soie qu’il lui avait acheté et opta pour un bas de jogging et un tee-shirt tandis que de la salle de bain Eric hurlait : « On n’a pas un truc qui désinfecte et qui pique pas, bordel ? »

Ils se couchèrent sans un mot, en se tournant le dos. C’était ça la vie, dix minutes de chaleur, de bonheur, de cœur qui bat intensément, de regards plongés dans l’autre sans pouvoir s’en détacher et derrière : douze heures d’ère glacière…minimum.

Le lendemain matin, dans sa voiture, Clara réalisa qu’elle n’avait aucune preuve que ce soit bien Christian Lechevalier , l’amoureux transi. Quand elle avait évoqué les lys, il n’avait pas semblé comprendre de quoi elle parlait. Non, il avait juste bien joué au con, mis en péril son couple, ça, il savait faire, apparemment. Mais les fleurs et le poème, non, lui c’est plutôt montagne et champagne. En arrivant à la clinique, elle réalisa aussi qu’elle n’avait même pas demandé d’explications à Eric sur ses dîners du mardi soir, si c’était vrai…

Le courrier était déjà à l’accueil. Clara s’en empara et les consulta machinalement comme tous les matins. Les médecins n’étaient pas encore arrivés. Clara alluma son ordinateur et prit place devant…

« Mais ça ne va pas ma pauvre fille ? lui susurra une voix intérieure, qu’est ce que tu vas faire sur le site d’accueil de Megève ? »

Oh, ça va. Je voulais juste voir comment étaient les chalets ! Clara se releva et entreprit de déposer le courrier dans les cabinets respectifs. Elle déposa une pile dans le bureau de Françoise Colombani, la dermato, trois grandes enveloppes dans le bureau de Taïeb, le dentiste, deux dans le cabinet obstétrique de Bloch et… s’arrêta stupéfaite. Sur le bureau, trônait le livre : Lettres d’or de Christian Bobin. Le livre duquel était tiré le petit poème qui accompagnait les lys.

Mais non ? David Bloch ? Le gynéco ?

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Isabelle_alexis_auteurAuteur : Isabelle Alexis

Isabelle Alexis a publié huit romans dont deux qui ont été adaptés au cinéma. Elle est également scénariste.
Ses romans : Tu vas rire mais je te quitte – Plon 2002, adapté au cinéma par Philippe Harel en 2005 ; Tu peux garder un secret ? – Plon 2004 – Plon, adapté au cinéma par Alexandre Arcadi en 2008) ; Dès le premier soir – Albin Michel 2006, réédité en livre de poche chez J’ai Lu en 2009 ; Tous à mes pieds – Albin Michel 2008 réédité en livre de poche chez J’ai Lu en 2009 ; Je n’irai pas chez le psy pour ce con – Albin Michel 2009, réédité en livre de poche chez J’ai Lu en 2010 ; Brèves de filles, un festival anti-machos – Bourin 2010  ; Comme dans un film noir – Flammarion 2011 réédité en livre de poche chez J’ai Lu en 2013 ; Ta vie est belle – Flammarion 2013 réédité en livre de poche chez J’ai Lu en 2014.

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