Nouvelles d’été – Le hipster sur le toit par Marianne Levy

Cet été, la #TeamRomCom a écrit des nouvelles sur le thème de la rencontre estivale pour Elle.fr
On les a toutes réunies sur le blog!

Marianne Levy – Le Hipster sur le toit

 

"Le Hipster sur le toit" : une nouvelle inédite de Marianne LévyC’est un peu de ta faute, aussi. Enfin, je veux dire, à toi et tes limites. Tu devrais voir quelqu’un Delphine.

Je me laissais glisser le long du mur en béton brut de la chambre d’hôtel. À 14 heures, heure de New York, je ne devais pas dormir. Pour éviter de succomber à l’appel du litking size,qui s’étalait comme un pacha au milieu de la pièce, je décidai de faire le point sur la récente évolution de ma situation amoureuse. Les mots d’adieu de David agressaient mon cerveau comme un vinyle rayé en fin de vie.

Faire le point.

Une démarche qui fige les choses. Le moment où tout ce qui est insupportable devient définitif. Faire le point au début de l’été, il n’y a pas pire. Les psys devraient interdire à leurs patients de faire le point entre le 15 juillet et le 15 août. Pénurie potentielle de Lexomil. Mauvais timing. Mais pour combattre le décalage horaire, touiller des idées noires, c’était plus efficace qu’une perfusion d’expresso.

Mon iPhone vibra. Un texto. Le dixième de Caro.

Caro – 14.02

Salut la morte-vivante, juste pour vérifier que tu ne t’approches pas trop des fenêtres. Dans morte-vivante, le mot important, c’est vivante #PourInfo

Donc, David m’avait quittée. « Je ne suis pas très vacances, je ne suis pas très couple, je ne suis pas très vacances en couple, avait-il expliqué. Et, puis, c’est un peu de ta faute, aussi. Je veux dire, à toi et tes limites. Tu devrais voir quelqu’un Delphine. »

Immédiatement mon regard s’était arrêté sur le couteau qui brillait sur la nappe à carreaux de notre Italien. L’usage intensif du possessif ne protègeait donc pas le couple, j’avais pensé. Ensuite, mon cerveau avait visualisé la lame plantée entre ses yeux. Mon coeur s’était soulevé en imaginant le jet d’hémoglobine fraîche. Puis, mon cerveau avait repris la main. Pourquoi courir le risque de ruiner l’esthétique de ma pizza bianca ? J’avais renoncé.

Mes limites.

Je m’étais contentée de lui rappeler ce que j’aurais dû faire. C’est-à-dire partir à New York avec lui. À la place, David m’avait conseillé un abonnement illimité chez un disciple de Freud.

Je me sentis seule. Seule comme la fille qui se réveille le lendemain de l’apocalypse nucléaire et constate qu’elle va devoir se taire à jamais ou tchatcher soldes d’été avec des coléoptères jusqu’à la fin de sa vie puisque personne n’a survécu à part elle.

Je me versai un verre d’Evian. La bouteille coûtait 13 dollars. Note de frais, je pensai, pour accepter l’idée qu’en bas de chez moi, à Paris, je l’aurais payée 80 centimes. Et qu’à cette heure-ci, j’aurais pu être en train de regarder Caro terminer ses linguine vongole chez mon Italien tout en laissant mon melon-prosciutto di parma pour entretenir ma ligne de morte-vivante.

Paris. David. Notre appartement. Sans lui.

Je me réfugiais dans mon iPhone. Sur Instagram, les êtres humains que je connaissais, eux, étaient heureux. Ils se noyaient dans les mojitos. Ils posaient hilares devant des mers translucides. Ils selfisaient bronzés. Ils faisaient leurs futurs enfants sans penser à leur future rentrée. À la nounou qu’il faudrait séduire. À la bonne maîtresse sur laquelle ils espéreraient tomber et pour laquelle ils seraient finalement prêts à échanger la bonne nounou…

C’est un fait, la réalité déserte les réseaux sociaux pendant l’été.

Elle prend congé de l’ordinaire.

Elle réclame sa dose de bonheur.

Je likais toutes les photos pour emmerder David. Je commentais les trente-six selfies de Caro. J’étais à New York. Sans lui. Je likais des photos. Et dopais mes commentaires aux smileys qui rient. Le message était clair : moi et mes limites, même sans lui, on allait super bien. Mon nez rougi qui coulait, c’était 100 % la faute de la clim’.

La baie vitrée ouvrait sur la ville. Je jetai un oeil en contrebas. De trentenaires cherchaient le frais dans la piscinesmall sizede l’hôtel écrasée par 38 degrés. À New York, les degrés valaient plus qu’ailleurs, aussi. Le bitume surchauffait pour faire savoir son mécontentement au soleil et métamorphosait les autochtones en victimes odorantes et collatérales.

Je soupirai. Je ne pourrais même pas faire semblant d’être heureuse en bikini sur Facebook. Les consignes de Paris étaient formelles. Je ne devais pas quitter la chambre 507 de l’hôtel jusqu’au lendemain 21 heures, heure de mon taxi pour JFK. J’observais l’architecture anarchique du Lower East Side en picorant les courgettes bios élevées à Brooklyn du minibar (9 dollars).

Mon regard s’arrêta sur la terrasse d’en face. Des transats dépareillés, un barbecue et une table de pique-nique en plastique déprimé décoraient le toit. Un type en bermuda écossais et coiffé d’une casquette des Yankees bleu marine surgit à travers la porte-fenêtre avec son MacBook sous le bras. Il s’allongea, ramena ses genoux vers lui, y posa son ordi et commença à bosser.

Mon téléphone vibra encore. Un mail. Ma boss. Je ne l’ouvris pas immédiatement. Quand ton mec te quitte après cinq ans de vie commune à une semaine d’un séjour avec vue imprenable sur laskylinede Manhattan, croire au bon karma, c’est compliqué. Même pour choisir une laitue, la pression devient énorme. Alors, le boulot…

Je repensai aux consignes de Caro.

Morte vivante, OK. Mais l’important, c’est morte-vivante ultra pro #ChanceDeTaVie.

Tout avait commencé la veille au bureau.

***

— Il paraît que vous ne partez plus à New York, Delphine ?

Boss n’avait pas le temps pour les détails.

J’avais confirmé.

— Assistante de rédaction, rassurez-moi, ce n’était pas votre but ultime dans la vie ?

Je l’avais rassurée.

— Parfait ! Vous prenez demain le premier vol pour New York. L’agent de Lee Dohan vient de me promettre une interview exclusive. C’est la quinzième fois. Delphine, je vais être franche : je n’y crois plus. Et, en plus, avec les vacances, j’ai le choix entre lui…

Elle avait désigné consternée un vieux rédacteur dépressif qui haïssait les gens après trente ans de métier.

— … des stagiaires et vous. Ce sera donc vous. On ne s’emballe pas. Je vous envoie par précaution. Je ne veux pas vexer l’agent. Surtout ne jamais vexer un agent, Delphine.

Puis elle m’avait tendu le dernier roman de Dohan, écrivain fantôme et surdoué dont personne ne connaissait la véritable identité.

***

J’ouvris le mail de Boss.

Toujours pas de nouvelles… Mais ne quittez pas la chambre. Au cas où.

Un peu révoltée par les 24 heures de vraies fausses vacances à New York qu’elle m’avait offertes, j’abandonnai mon poste d’observation pour rejoindre le lit.

Je sombrai.

La bouche pâteuse et frigorifiée par la climatisation, je levai la tête de l’oreiller. Le radio-réveil indiquait 2 heures du matin. Je me rappelai que je n’étais pas à Paris. Quittais douloureusement le lit, fis quelques pas pour détendre mes jambes engourdies. J’écartai le rideau perlé qui protégeait l’intimité de ma chambre et tombai sur mon voisin toujours torse nu qui se faisait un film en plein air sur un écran à l’ancienne maintenu par un pied télescopique. J’imaginais qu’il regardaitManhattan.

Je filais aux toilettes et me dis que le designer de l’hôtel devait avoir une passion pour les maisons funéraires. Elles étaient noires comme la douche, comme le parquet, comme la chambre, comme mon humeur à moi. Je me brossais les dents en évitant mon reflet de zombie dans le miroir. Enfilai un sweat sur mon tee-shirt, coupai la clim’ et replongeais avec délice dans les draps italiens.

À 6 heures, Beyoncé jaillit du radio-réveil. Je chassai la boule venue me rappeler qu’il était inutile de me retourner car je ne pourrai me blottir dans les bras de personne de l’autre côté du lit. Puis composai le numéro duroom servicedécidée à prendre un petit déjeuner de luxe en regardant le jour réveiller Manhattan. Je commandai des pancakes. Sans myrtilles. Sans framboises. Double portion de fraises et triple chantilly, sur le côté.

Mon voisin d’en face était matinal, lui aussi. Il se baladait nu dans son appartement. Mes limites m’interdisaient de fixer l’anatomie d’un homme qui n’était pas le mien. Pourtant, je n’arrivais pas à détacher mon regard. Je n’avais jamais vu de fesses aussi blanches. Je réfléchis. Je n’avais pas vu beaucoup de fesses, en fait. Personne n’aurait reproché à Rodin de fixer le cul de ses contemporains pour comprendre la vie. Ne pas culpabiliser, donc.

Mon voisin s’immobilisa. Il devait m’avoir repérée. Je m’éloignai de la fenêtre. Puis, j’osais regarder à nouveau. Il brandissait un morceau de carton sur lequel était écrit : Arrêtez de regarder ! Je fis un pas en arrière. Mon tee-shirt La Rose Pourpre du Caire couvrait à peine le haut de mes cuisses. J’aurais dû rougir. Mais je saisis le bloc-notes de l’hôtel et griffonnais : Portez un caleçon !

Il disparut puis revint avec une provision de feuilles A4. Il avait enfilé son bermuda écossais et semblait motivé pour entamer une conversation.

– Je suis chez moi ! écrivit-il

– Dans mon pays, c’est illégal !  je répondis.

– Quel pays ?

– La France. 

– Je ne vous crois pas !

– Vous devriez ! 

– Les choses ont bien changé alors. On en parle devant un petit déjeuner ? 

J’hésitais. J’envoyai un SOS à Caro.

Delphine – 6.04

Je crois que je suis en train de devenir voyeuse pratiquante.

Caro – 6.04

?

Je résumais la situation dans un petit texto.

Cinquante-cinq lignes.

Une photo.

Caro – 6.15

Ce type remet son bermuda rien que pour toi à New York et tu finasses ? Delph’, un psy, ça va pas suffire, il faut envisager l’internement #Fonce

Je réfléchis encore. Sur le principe, c’était tentant. Pour comprendre la vie, les fesses blanches c’est important. Mais, en pratique, c’était un truc à finir dans les pages faits-divers du New York Post. Finalement, je me dis qu’aucun psychopathe capable de découper une Française en morceaux et de jeter ensuite les morceaux dans l’Hudson à l’aide de sacs en plastique biodégradable ne regarderait un film de Woody Allen au milieu de la nuit sur un toit. Je jetai encore un coup d’oeil. Il était toujours là. Je finis par répondre.

– Je ne peux pas sortir.

– ?

– Le boulot

– Moi, je peux sortir.

– Chambre 507

Sous sa barbe, je devinai un sourire.

On sonna. Le garçon d’étage avec mon petit déjeuner. Je signai la note. Refermai la porte et attendis. On sonna encore. Mon coeur s’emballa. Mais mon cerveau le rattrapa à temps pour lui rappeler le principe des limites. Je fis glisser la chaînette de sécurité avant d’ouvrir.

— Vous regardiez quoi comme film, cette nuit ? je demandai à travers la porte.

Annie Hall. C’est illégal aussi ?

Je respirai, soulagée.

Il entra. À cause de la puissance des associations d’idées, je pensai à Woody Allen puis à la peau rousse qui supporte mal le soleil puis aux fesses lactées du hipster devant moi. Je n’osais pas le regarder dans les yeux. Je lui tendis la main en fixant ses tongs. Il la serra.

— Donc vous êtes Française et vous prétendez que la nudité est illégale, permettez-moi d’en douter, je peux voir vos papiers ? dit-il.

Sa voix indiquait qu’il s’amusait beaucoup. L’odeur de sa peau qu’il s’était savonné avant de traverser la rue.

— Vous… vous voulez manger ? je demandai.

— C’est le principe du petit déjeuner… On ne devait pas parler droit comparé, dites donc ? demanda-t-il en fixant la double portion de fraises et la crème fouettée.

Pour tout un tas de raisons, dont son torse sculpté par les paniers de basket qu’il devait passer des heures à marquer sur le terrain d’à côté, je commençais à hyperventiler. J’avais envie de hurler : « Vous pourriez arrêter de sourire mieux que James Franco, SVP ? »

Il s’approcha. Je me sentis obligée de préciser :

— Les fraises, la chantilly, d’abord c’est ultra cliché. Ensuite c’est pas du tout mon style parce que vous comprenez vingt et un siècles de tradition judéo-chrétienne, ça pèse une tonne… je balbutiai.

— Non mais je sens que vous allez tout m’expliquer, dit-il en s’approchant encore.

— J’ai… j’ai toujours fait l’amour sur le dos, vous savez.

— Faire l’amour, OK. Cette petite visite de voisinage devient passionnante… dit-il encore.

Il fit un pas de plus. Je reculai encore, butai et tombai sur le litking size. Un hipster charmant vu d’en bas, c’est comme la Terre vue du ciel. Magnifique.

Ce qui allait se passer était entièrement de la faute de David.

Toi et tes limites, je veux dire.

Doucement, le hipster se pencha vers moi. Il murmura : « Pour moi aussi, c’est une sorte de première fois ». J’allais lui demander pourquoi. Mais je me dis que je ne voulais rien connaître d’autre que le goût de ses lèvres sur les miennes. Évidemment, c’était une façon de parler. De ne pas parler, plutôt.

Quand le soleil commença à décliner sur Manhattan, lui et moi, nous étions tombés d’accord sur la magie du souvenir. Nous n’allions pas nous écrire. Ni nous appeler. Même si nos corps se quittaient à regret.

Un baiser.

Un dernier.

Encore un dernier.

La porte qui se referme.

Et moi qui souris.

Mon iPhone n’avait pas sonné. Personne n’était venu me chercher chambre 507. Devant l’hôtel, un taxi jaune m’attendait. Je m’y engouffrais. Au coin de Houston Street, en pensant au plateau-repas d’Air France, j’eus une subite envie de Deli. Je demandai au chauffeur de s’arrêter. Trois accros au pastrami patientaient devant moi. Je filai aux toilettes. Je me lavais les mains puis souris au porte-serviette en me repassant le film de mes 24 heures à New York. Quinze SMS de Caro attendaient dans mon iPhone que je lui projette aussi.

Je vérifiais mon reflet dans le miroir quand j’entendis : « Hey Dohan, bonne soirée ! » Je me précipitai vers la sortie. Je n’aperçus qu’une silhouette. Un homme se perdait dans la foule. Il portait un bermuda écossais et une casquette des Yankees bleu marine.

J’avais vu quelqu’un qui m’avait fait du bien.

Ce n’était pas un psy.

Cette nouvelle a été publiée le 28 juillet 2016 dans ELLE.fr

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