Les nouvelles d’été – Paris Paros par Tonie Behar

Cet été, la #TeamRomCom a écrit des nouvelles sur le thème de la rencontre estivale pour Elle.fr
On les a toutes réunies sur le blog!

Tonie Behar – Paris Paros

« Paris Paros » : une nouvelle inédite de Tonie BeharC’était un coup de tonnerre dans le ciel immuablement bleu de Paros. Un tableau de maître avait été volé en pleine journée chez un collectionneur. On parlait de dizaines de millions d’euros, certains affirmaient même des centaines! Dans le grand salon blanc de sa villa dévastée, Audrey Hatchuell pleurait à chaudes larmes. Ce petit Modigliani volé était le cadeau d’anniversaire que lui avait offert son mari pour ses trente ans. Les policiers de l’île avaient interrogé tous les malfrats recensés de la rade, on avait envoyé du renfort d’Athènes. Personne n’avait quitté l’île et on ne retrouvait pas le tableau. C’était incompréhensible.

Une semaine plus tôt.

Accoudé au bastingage du ferry Blue star, Elias Horville regardait se rapprocher les côtes de Paros, petite île des Cyclades où il venait passer chaque année quelques jours de farniente chez ses amis les Michalac. Malgré son pied marin, il se sentait un peu nauséeux, la traversée depuis le port du Pirée ayant été perturbée par le Meltem, ce facétieux vent grec qui s’amuse à bousculer les eaux turquoise de la mer Egée.

Il entendit des rires féminins accompagnés de commentaires appréciateurs prononcés en anglais qui lui étaient certainement destinés, mais ne se retourna pas. Assises à quelques mètres de lui, quelques londoniennes agitées l’avaient pris pour cible. C’était un fait, Elias Horville plaisait aux femmes. Ses yeux verts un peu tombants et sa mâchoire bien dessinée lui faisaient une tête de voyou sexy qui lui convenait à moitié. Il se rêvait plutôt en dandy fin et élégant, nonchalamment vêtu de lin blanc.

Il enfonça plus profondément sa casquette de baseball sur les yeux contempla la mer. La situation familiale était encore plus déplorable que les années précédentes et il n’avait pas le cœur à se détendre alors que sa mère restait seule à Paris. Il avait hésité à la quitter, mais elle avait insisté pour qu’il parte. Silvia Horville avait pour philosophie de toujours accepter une occasion de s’amuser.

Elias vivait avec sa mère Sylvia et sa sœur Cléo dans une vieille maison Montmartroise, nichée dans le hameau des artistes, qui avait connu des jours meilleurs avant de tomber en décrépitude. La toiture fuyait, les murs rêvaient d’un bon coup de peinture,  les meubles traînaient la patte, et rien dans leur situation actuelle ne permettait de dire ça allait s’arranger.

La semaine précédente, après le dîner pris sous le tilleul, dans le jardin envahi d’herbes folles, sa mère leur avait annoncé sa décision. Celait faisait sept ans, depuis la mort de leur père, que ça leur pendait au nez. Cette fois, Silvia Horville avait tranché. Elle  vendait la baraque et chacun de ses enfants pourrait enfin se construire une vie.

Leur père, adorable fêtard, était mort en leur léguant ses dettes de jeu et sa maison, héritée d’un grand-père sculpteur. Elias et Cléo avaient tenté sans succès de maintenir le navire à flots.  Dans leur famille on savait rêver à de beaux projets, jouer aux cartes, organiser des fêtes, mais on avait du mal avec les contingences matérielles. Dans son atelier aux hautes fenêtres de verre, Silvia peignait sans jamais vouloir montrer ses toiles. Cléo était comédienne, mais n’aimait pas les castings. Elias lui était photographe. Au cours de l’hiver, il avait exposé dans une galerie de Bastille. Le fruit des ventes avait servi à changer la chaudière hors d’âge et payer les factures avant l’arrivée des huissiers. Il songeait avec amertume qu’à trente-cinq ans, il n’envisageait pas une autre vie que celle, bohème et légère, qu’il menait à Montmartre. Surtout, il se demandait ce que ferait sa mère, une fois sa chère maison vendue, et pensait qu’elle n’y survivrait pas.

En arrivant dans la villa de ses bons amis les Michalac, Elias verrouilla ses soucis au fond d’un tiroir obscur de son cerveau. Puis il afficha sur son visage ce fameux sourire qui faisait fondre les femmes et donnait aux hommes l’envie de lui ressembler.

Comme tous les ans, Isabelle Michalac avait organisé un grand dîner réunissant tout ce que l’île comptait de parisiens amoureux de maisons blanches et de mer limpide.  La table était dressée, de longs voilages blancs flottaient au vent et des dizaines de bougies  brillaient comme des lucioles dans leurs lanternes de verre. Le maître de maison avait préparé le spritz et l’ouzo. Les mezzedes attendaient sur le buffet et le barbecue crépitait.  Elias naviguait comme un poisson dans l’eau entre les convives. Ils étaient une douzaine, journalistes, créatrice de mode, gens des médias, avocat… Toutes les conversations bruissaient du même scandale : Fabrice Hatchuell, richissime marchand d’art contemporain qui avait abondamment trompé sa femme au printemps, s’était annoncé au dîner de l’été avec sa maîtresse, une jeune journaliste qui lui avait complètement tourné les sangs.  Définitivement transi d’amour, il répétait à qui voulait l’entendre qu’il la baisait comme un fou et même comme un dieu (sans doute grec).

Quel plaisir de bitcher sur une croustillante histoire d’adultère entre deux gorgées de Spritz ! Les rires jaillissaient des dents blanches et se perdaient sur les peaux bronzées. Autant dire que la totalité des convives attendait le nouveau couple de pied ferme.

Seulement voilà, quand Fabrice Hatchuell arriva, très en retard, ce fut avec sa propre femme à son bras. Tout le monde se retrouva avec des questions brûlantes au bord des lèvres et l’impossibilité de les poser !

Elias regardait avec curiosité la jeune femme qui se tenait droite et souriante, évoquant comme si de rien n’était, sa vie idyllique – sa maison de campagne, son chalet en suisse, ses vacances aux Maldives –  avec son mari.

A table, le sujet planait, gros comme un avion, sur l’assemblée. Pourquoi ce retournement de situation ? Où était donc passée la jeune maîtresse? Les Hatchuell s’étaient-ilsvraimentréconciliés ?

Isabelle Michalac avait placé Elias à côté de l’épouse bafouée, sachant qu’il saurait se conduire exactement comme il le fallait. Il l’observait à la dérobée, grande, brune, avec une lourde poitrine sensuelle qui contrastait avec son maintien aristocratique, sa longue chevelure noire flottait autour de son visage de duchesse vénitienne.

–        Franchement chapeau, vous les avez tous scotchés. Personne ne moufte.

–        Je ne vois pas de quoi vous parlez.

–        Avant votre arrivée, tout le monde ne parlait que votre mari et sa bimbo.  Vous le savez je suppose.

–        Ah ça ! dit-elle en agitant la main, désinvolte. Comme si elle chassait une particule de poussière dans l’air du soir.

Puis elle tourna la tête pour parler à son voisin de gauche et le cœur d’Elias se serra. Désolé soudain. Derrière le masque il avait vu son visage. Cette femme souffrait horriblement. Elle était malheureuse, blessée, perdue. Elle voulait donner le change.

–        Ma mère me dit toujours que quand on n’a pas le moral, il faut faire quelque chose qu’on n’a jamais fait. Une chose un peu folle par jour.

Elle planta son regard dans le sien, un peu méprisante.

–        Un dérivatif ?

–        Non. Plutôt un moyen de voir les choses d’un point de vue différent.

–        Et vous avez une expérience un peu folle à me proposer ?

Il la fixa suffisamment longtemps pour qu’elle comprenne. Puis prononça en souriant insolemment :

–        Couchez avec moi.

Elle avait dit oui, tout simplement. Il lui avait donné rendez-vous le lendemain après-midi, à l’heure de la sieste, dans une petite pension de famille où il se rendait autrefois et dont les propriétaires étaient devenus des amis.  Tout en se préparant à dormir, il se demanda si elle viendrait. Elle avait dans le regard une petite flamme vacillante qu’il avait reconnu. A chaque fois, elles étaient pour lui : les princesses détraquées, les fragiles, les blessées de la vie. Il possédait un radar interne infaillible pour les repérer, les atteindre, les secourir.  Le mécanisme s’était mis en marche, il la voulait.

Elle arriva presque à l’heure, vêtue d’une courte robe blanche qui dénudait ses épaules bronzées, ses longs cheveux noirs répandus dans son dos, de fines sandales plates lacées sur ses pieds de statue et un parfum d’huile solaire sur sa peau cuivrée.

C’est toujours un peu magique ce moment où la fièvre vous prend. Quand deux quasis inconnus s’approchent l’un de l’autre. Les lèvres s’effleurent, les mains se joignent, les souffles deviennent courts. Le fait que l’autre soit presque un étranger rend la chose légèrement terrifiante, donc plus excitante encore. Audrey se faisait presque violence pour affronter ce type dont encore hier elle ignorait l’existence. Elias et son irrésistible tête de gangster, Elias et son sourire « frissons garantis ». Il possédait une animalité, une sensualité brute. Son cœur battait à rompre et elle fermait les yeux en s’agrippant  à ses épaules larges et brûlantes. Leur baiser s’intensifia. C’est elle qui l’entraîna sur le lit.

Ils se retrouvèrent chaque jour dans la petite chambre fraîche aux volets clos. Sur le grand lit aux draps blancs,  il y avait toujours une nouvelle chose un peu folle à découvrir, et quelques confidences à échanger.

La veille du départ d’Elias, Isabelle Michalac organisa une journée en mer. Elle avait loué un grand bateau de pêcheur  et invité toute la compagnie. On allait pique-niquer dans une crique, se baigner dans l’eau limpide, écouter de la musique et siester dans le balancement des vagues.

Elias arriva un peu en retard, il avait dû terminer sa valise car il partait le lendemain à l’aube. Audrey était déjà à bord, impassible à côté de son mari. Pour Isabelle Michalac, organisatrice hors pair et reine incontestée du petit groupe, ce fut une journée parfaite.

Au crépuscule, les Hatchuell découvrirent que leur villa archi sécurisée avait été cambriolée. Le vol avait été commis en plein jour, pendant qu’ils se trouvaient en bateau avec tous leurs amis. Parmi les nombreux chefs-d’œuvre qui ornaient leurs murs, un seul manquait à l’appel : un Modigliani de petite  taille que Fabrice avait offert à Audrey un an plus tôt, pour ses trente ans. La jeune femme sanglotait, prostrée sur un fauteuil de métal aux formes étranges qui parut des plus inconfortables à Guigas Theodorides, le chef de la police de Paros chargé de l’enquête.

Dans l’avion qui le ramenait à Paris, Le Modigliani glissé à plat dans le double fond de sa valise, Elias Horville pensait à Audrey Hatchuell… et à sa surprenante force de caractère.  La jeune femme était pâle et crispée quand il l’avait rejointe, un peu essoufflé sur le caïque des Michalac.

–        Il n’est pas rentrée de la nuit, il croit que je ne m’en suis pas aperçue, avait-elle murmuré entre ses dents serrées. Cette fois, je me suis vraiment vengée.

Et puis sans mot dire, elle lui avait tendu une serviette de plage enroulée en lui recommandant de la glisser dans le sac où étaient rangées ses affaires de plage.  Il l’avait regardée, étonné.

–        Le Modigliani.  Il est pour toi. J’ai ôté le châssis pour qu’il soit facilement transportable et j’ai aussi volé le certificat d’authenticité. Quand tu seras à Paris, va voir Jean Dupont de ma part. Il te le rachètera un bon prix, sans poser de question.

Et comme il protestait, la traitant d’insensée, elle l’avait interrompu :

–        Un ami m’a appris que quand on n’a pas le moral, il faut faire une chose totalement nouvelle et un peu folle. Comme accepter le cadeau d’une femme reconnaissante.

–        Mais tu adores ce tableau !

–        Plus maintenant.

–        Comment tu as fait pour ne pas qu’il s’en aperçoive ?

–        Je l’ai pris alors que Fabrice m’attendait dans la voiture. Je lui ai dit que j’avais oublié mon livre. Il était tellement occupé à sextoter à sa pouffe qu’il ne  s’est même pas rendu compte que j’ai mis un peu trop de temps. J’en ai profité pour mettre le salon à sac. On dirait vraiment qu’il y a eu un cambriolage !

Il secouait la tête, en disant qu’il ne pouvait pas accepter. Face à ses refus, elle s’emporta :

–        Tu as plus besoin de cet argent que lui ! Malin comme il est, il se fera rembourser par les assurances. Toi, tu pourras garder ta maison. Et ta mère n’aura pas à déménager.

A la descente de l’avion, Elias avait ressenti un petit pincement de frayeur en passant devant la douane. Il releva la tête, traina sa valise tranquillement et passa sans encombre. De l’autre côté des parois de verre, Silvia et Cléo l’attendaient, comme toujours gaies, aimantes et merveilleusement jolies. Il serra les deux femmes de sa vie contre lui.

Cette nouvelle a été publiée le 17 août 2016 dans ELLE.fr

 

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